1840 : Un breton à Sainte-Hélène

1840 : Un breton à Sainte-Hélène

Le 7 juillet 1840, la frégate « La Belle Poule » appareille de Toulon avec, à son bord, le chirurgien quimpérois de la Marine, Julien Guillard, qui doit procéder à l'exhumation du corps de Napoléon à Sainte-Hélène et le ramener en France.

Publié le 12/03/2007
Modifié le 20/03/2018
A- A+
Sainte-Hélène

En cet été 1840, les relations sont toujours tendues entre la France et l'Angleterre. Là-bas, sur l'île rocailleuse de Sainte-Hélène, une colonie anglaise perdue en plein océan Atlantique, repose toujours le corps de l'empereur Napoléon 1er, décédé en 1821, six ans après l'exil qui avait suivi sa seconde abdication. Juste avant sa mort, qu'il pressentait en raison de la dégradation de son état de santé, il avait pourtant exprimé le désir ardent d'être inhumé « sur les bords de la Seine au milieu du peuple français (qu'il avait) tant aimé ». Et à deux reprises, le comte Henri Gatien Bertrand, qui l'accompagnait dans sa lointaine captivité, avait sollicité, en vain, l'autorisation de transférer en France les restes du prisonnier de Sir Hudson lowe. Une première fois, il s'était adressé directement au gouvernement anglais et la seconde à celui de Louis XVIII. De la part de ce dernier, il n'avait pas essuyé un refus absolu, mais on lui avait laissé entendre que le retour des cendres de l'empereur déchu risquait de provoquer des troubles politiques dans le pays. Finalement, en 1840, le ministre de l'Intérieur du roi Louis-Philippe annonçait à l'Assemblée qu'il était fait droit à la demande. Sur ce, un crédit d'un million avait été voté pour la construction d'un tombeau à la chapelle des Invalides.

Le médecin (presque) oublié

C'est ainsi que la frégate « La Belle Poule », accompagnée de la corvette « La favorite », appareille de Toulon pour Sainte-Hélène avec, à son bord, le chirurgien quimpérois de la Marine, Julien Guillard, afin de procéder à l'exhumation du cadavre impérial. De ce médecin, dont une rue de Quimper perpétue la mémoire, l'histoire de Bretagne n'a conservé en définitive que peu de souvenirs, hormis ceux de l'opération à laquelle son nom demeure associé. Et son château lui-même n'est plus. Il s'agit, en fait, de l'ancien manoir de Créac'h-Guen dont le domaine acquis par la ville s'étendait sur quatorze hectares aux portes de Quimper. En 1853, parvenu l'âge de la retraite il y passa les seize dernières années de sa vie. Elu maire d'Ergué-Armel en 1860, il assumait encore cette fonction lorsqu'il s'éteignit en 1869 à l'hôpital maritime de Brest, vaincu par une maladie d'estomac. Marié à Marie Perrine Duval, son père exerçait la profession de négociant dans la rue Kéréon. Très tôt, leur fils Julien, né le 7 mars 1799, manifesta un goût prononcé pour les études, en sorte qu'au sortir de l'école primaire, il se retrouva sur les bancs du collège de Quimper, fréquenté avant lui par des élèves devenus célèbres, tels qu'Elie Fréron, Dupleix et l'amiral de Kerguelen.

Exhumation aux flambeaux

Diplôme de médecine en poche, Julien Guillard entra ensuite dans la Marine en qualité de chirurgien de première classe. Et c'est alors qu'intervient la fameuse opération qui lui valut la croix de la Légion d'honneur, à défaut d'une réelle notoriété. Le chirurgien en a lui-même établi le rapport le 15 octobre 1840. L'exhumation s'est déroulée la nuit à la lumière de flambeaux et elle a duré huit heures. Sous un mètre de terre, trois dalles de pierre recouvraient le cercueil. Lorsqu'elles furent soulevées, le coeur du médecin battait si fort, selon ses dires, qu'il croyait entendre celui de ses voisins. Passé ce moment d'émotion, grande est sa surprise de constater que le corps est en parfait état. « Il y avait tant de majesté sur son front, écrit le docteur Guillard, que toutes les personnes présentes l'avaient reconnu. La tête penchée sur le corps, il semblait attendre son réveil car il paraissait dormir. Et le chirurgien quimpérois d'ajouter que sous les paupières fermées par le valet de l'empereur lorsque son maître avait rendu le dernier soupir, « se dessinaient encore les globes des yeux ».

Un cadavre controversé

Les restes furent cependant répartis dans un sarcophage divisé en six compartiments séparés par de la sciure de bois, l'un en fer blanc, l'autre en aacajou, la troisième et le quatrième en plomb, le cinquième en ébène et le sixième en chêne. L'ensemble pesant plus de quatre tonnes fut placé sur un char funèbre et transporté par quarante-trois artilleurs au débarcadère où était ancrée « La Belle Poule ». La précieuse dépouille passa sur la frégate entre deux haies d'officiers sous les armes puis dirigée vers une chapelle ardente dressée à l'arrière du bâtiment, tandis que l'artillerie tirait des salves d'honneur. Le 30 novembre, le vaisseau entrait dans le port de Cherbourg où un corbillard attendait, attelé de quatorze chevaux caparaçonnés, pour amener le défunt à Paris. Justice ainsi rendue au héros d'Austerlitz, s'ouvrait alors une controverse, non encore réglée à ce jour, avec cette question centrale qui hante l'esprit des historiens : est-ce bien le cadavre de Napoléon que l'on vénère depuis 1840 dans la chapelle des Invalides ? L'absence de preuves tangibles a fait naître l'incertitude.

Le mystère des reliques

E cet égard, le rapport du docteur Guillard et la description qu'il donne des différentes parties du corps enfermées dans le cercueil ne laisse pourtant place à aucun doute. Mais tel n'est pas l'avis des experts qui, a posteriori, constatent, eux, une « incompatibilité » entre les conclusions du chirurgien quimpérois et l'état du corps autopsié dix-neuf ans auparavant. S'ajoutent à cette polémique les fameuses reliques de Napoléon rapportées de Sainte-Hélène par le praticien et dont le journal Le Finistère publie la liste dans son numéro du 9 août 1873. Parmi elles, figuraient notamment des pierres prélevées dans le tombeau ainsi que des morceaux d'écorce du saule et du cyprès qui l'ombrageaient. Selon le témoignage d'une descendante du docteur Guillard, ces reliques, offertes par la famille au musée des Beaux-arts de Quimper et qui étaient exposées dans une vitrine, auraient été volées vers 1890. Que sont-elles depuis devenues ? La réponse à toutes ces questions se trouve à Quimper dans un petit enclos du cimetière d' Ergué-Armel où gît, lui, le défunt médecin, protégé par un rocher venu de l'île funeste à l'origine de ce débat contradictoire post-napoléonien.

Rechercher un hébergement à proximité
Contenus sponsorisés