1850 : Vannes juge dix émeutiers

1850 : Vannes juge dix émeutiers

Le 26 juin 1848, prend fin la révolte provoquée à Paris par la fermeture des Ateliers Nationaux. À Belle-Île, où sont déportés des émeutiers, se produit un nouveau soulèvement qui va entraîner le procès en assises de dix d'entre eux à Vannes.

Publié le 26/03/2007
Modifié le 20/03/2018
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1850 : Vannes juge dix émeutiers

Créés par François 1 e r pour procurer du travail à ceux qui en étaient dépourvus, les Ateliers Nationaux n'ont jamais résisté à l'épreuve du temps. Rétablis plusieurs fois depuis, ils ont tous connu une existence éphémère. Reprise à la hâte par le gouvernement provisoire de la République en 1847, dans un contexte socio-économique morose, après l'abdication de Louis-Philippe, non seulement l'opération, cette année-là, n'a guère dépassé quelques semaines, mais en plus elle s'est achevée dans un bain de sang. Suite à l'annonce de la fermeture desdits Ateliers, se répandit, en effet, dans Paris une agitation qui dégénéra, au printemps de l'année suivante, en émeute. 1.500 morts et 15.000 prisonniers : tel fut, en gros, le bilan de cette révolte qui s'inscrivit dans l'Histoire sous le nom de « Journées de juin ». Environ 2.000 captifs furent déportés dans des camps aménagés pour la circonstance à Belle-Ele, et ce n'était sans doute pas sans raison. Au-delà de cet accès de colère, il fallait voir, en fait, un affrontement politique entre conservateurs et républicains, et nul n'ignorait que le Morbihan, haut-lieu, naguère, de la chouannerie, demeurait fidèle aux idées de l'Ancien Régime.

Le feu aux poudres

L'un de ces camps, répartis en divers endroits de l'île et sommairement meublés, était réservé à l'enseignement. De fait, nombre d'ouvriers ytrouvèrent un complément utile à leur scolarité. Cependant, il fut aussi le lieu où se fomenta une rébellion motivée par les disparités de traitements entre condamnés politiques et de droit commun. Un décret d'amnistie partielle, publié le 7 novembre 1849, mit, au sens propre, le feu aux poudres dans ce climat extrêmement tendu. Le matériel dont disposaient les détenus libérés fut incendié par les plus excités tandis que, sous le préau, d'autres dansaient et chantaient pour détourner l'attention. E la tête d'un groupe de cinquante hommes, le colonel Pierre, commandant le régiment chargé de la sécurité du camp, ordonna aux insurgés de regagner leur dortoir. La sommation étant restée sans effet, un coup de feu partit alors, atteignant mortellement l'un des rebelles. L'affaire prit une importance telle que le préfet en fut saisi et, au-delà, le gouvernement dont faisait partie son beau-frère, en l'occurrence le ministre Marie qui avait oeuvré pour la fermeture des Ateliers. Dans la conjoncture politique du moment, l'occasion était donc belle d'ouvrir une procédure judiciaire afin de frapper fortement l'opinion.

Des « bêtes fauves apprivoisées »

L'audience devant la cour d'assises du Morbihan débute au palais de justice de Vannes le 14 mars 1850. Dix accusés comparaissent à la barre dont l'instigateur de la révolte, Louis-Marie Tasselier, typographe de métier, ancien officier de la Garde nationale et considéré comme l'un des plus dangereux meneurs durant les « Journées de juin ». Le procès suscite un vif mouvement de curiosité dans la population locale, convaincue que ces individus instrumentalisés par le parti socialiste sont des « bêtes fauves ». Ainsi remarque-t-on, dans l'enceinte réservée du prétoire bondé, quelques nobles dames élégamment vêtues. Grande donc est la surprise du public quand pénètrent à leur tour, dans la salle, les présumés coupables : il ne s'agit pas de « bêtes féroces » mais d'hommes jeunes, dignes et habillés avec une certaine recherche. Autre sujet d'étonnement : l'absence, au banc des témoins, du colonel Pierre, retenu à son domicile par un lumbago. Maître Rattier, de Lorient, un des avocats de la défense, regrette cette défection mais ne demande pas, pour autant, le report du procès.. Interrogé sur les raisons de l'insurrection du camp, le chef de la bande en rejette la responsabilité sur la discrimination dont une partie des détenus était l'objet en leur défaveur. Déclaration que conteste le collaborateur du colonel Pierre, qui affirme, lui, que son supérieur recevait fréquemment des lettres de remerciiements pour ses bontés. Quant au refus opposé par les manifestants à l'officier leur ordonnant de regagner leur dortoir, Tasselier se demande si le colonel n'était pas ivre, ce soir-là. « C'est une infamie ! », s'indigne alors le témoin sur un ton courroucé. Et tandis que s'affrontent les antagonistes à la barre, une polémique s'engage dans les journaux de tendance politique différente.

Le pays divisé

Un contradicteur de La Bretagne, que dirige un neveu du chef chouan Cadoudal, qualifie le secrétaire du colonel de « valet de bourreau » et, dans La Concorde, on lit que le président du jury dénature les dépositions des accusés et fait preuve de partialité. En fait, à travers ce procès, c'est le pays tout entier qui est divisé. Minoritaires dans le département, tous les sympathisants de la doctrine socialiste se sont donné rendez-vous pour l'énoncé du jugement au cinquième jour de l'audience. E l'issue des plaidoiries enflammées de la défense et du réquisitoire en forme de péroraison à l'encontre du socialisme prononcé par le procureur, le verdict fait l'effet d'une bombe. Faute de preuves sur la responsabilité de chacun, tous les accusés sont reconnus non coupables et donc acquittés. Environ 2.000 personnes les accueillent à la sortie avec des cris de joie et accompagnent, en chantant La Marseillaise, le véhicule qui les reconduit momentanément en prison.

Les conséquences du jugement

Forcément, il n'en va de même du côté des conservateurs au pouvoir dans le département. Furieux de la tournure prise par l'affaire, le préfet reporte sa mauvaise humeur sur la municipalité de Vannes. Le maire Dautu et son adjoint Fleury sont révoqués. Puis vient le tour des fonctionnaires suspectés d'avoir des opinions trop avancées. Moins grave aurait été la mutation en Algérie du régiment basé à Lorient et Vannes, si le départ ne s'était accompagné d'un drame lors de l'embarquement : sous le poids des soldats, une passerelle s'effondra, entraînant dans sa chute 270 d'entre eux qui périrent.

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