Des chirurgiens au poil !

Des chirurgiens au poil !

Cela peut apparaître comme une plaisanterie mais telle était pourtant la réalité : au temps où le visage d'Henri IV s'ornait d'une imposante barbe, les barbiers bretons pratiquaient, en toute légalité, des opérations chirurgicales dans leurs boutiques !

Publié le 06/03/2009
Modifié le 16/05/2018
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Si l'on se réfère aux encyclopédies, l'existence de la corporation de barbier-chirurgien, placée sous la protection de saint Côme et saint Damien, remonte, en fait, à l'Antiquité. Ce n'est toutefois qu'au XVIe siècle qu'on en trouve la trace officielle en Bretagne, à travers la jurisprudence du Parlement de Rennes. En 1568, étaient édictés les statuts réglementant l'exercice de cette profession, assimilée auparavant à celle des... maréchaux-ferrants. Sous le seul contrôle de leur prévôt, dont la tâche consistait à casser la pointe des lancettes (sorte de couteaux pliants) pour en éprouver la dureté, les dits praticiens jusqu'alors n'en faisaient, si l'on peut dire, qu'à leur tête et selon une coutume transmise de génération en génération. S'installait qui voulait dans ce corps de métier polyvalent, pourvu de disposer des ustensiles nécessaires et de savoir manier le rasoir avec autant de dextérité que le bistouri. Et il en a été ainsi tout au long du XVII e siècle. Par la suite, sont intervenues d'autres décisions codifiant plus rigoureusement cette activité, ce qui ne l'a pas empêchée de perdurer jusqu'à la Révolution. L'exemple de Vannes où se trouvaient de nombreuses boutiques de ce genre ainsi que dans les faubourgs est, à cet égard, significatif.

Boutiques sans chiens ni cochons

L'atelier du barbier-chirurgien constitue, en quelque sorte, l'un des salons où l'on cause. Un lieu de prédilection où le visiteur est assuré d'apprendre les dernières nouvelles de la vie locale. Beau parleur et sûr de lui-même, le maître de céans en est du reste parfaitement conscient. Encore qu'il soit soumis au secret professionnel et autres obligations. Défense lui est faite, notamment, de posséder des animaux domestiques, tels que chiens et cochons, pour son agrément ou celui de ses clients. Passé le temps de l'apprentissage et de l'examen qui s'ensuit en vertu des nouvelles lois, le jeune praticien peut se prévaloir désormais de prérogatives enviables. Il est autorisé, en particulier, à procéder à des autopsies judiciaires. Néanmoins, il ne jouit que d'une piètre estime du médecin et de l'apothicaire, qui le considèrent comme un ignorant issu de basse condition et le tiennent en dehors de leur milieu social. Quant à l'Eglise, hostile à la chirurgie, elle interdit carrément à ses clercs d'exercer cette activité à cause du sang humain versé. D'où le fait que la corporation ne compte, en définitive, que des personnages illettrés et mal dégrossis.

Un métier juteux

Au XVII e siècle, à Vannes, leurs boutiques sont reconnaissables à la banderole rouge pendant au-dessus de la porte. Dans la salle d'attente, la clientèle se partage indistinctement entre les hommes désireux d'une toilette de leur barbe et les patients en quête aussi bien d'une saignée, d'une extraction de dent que d'une quelconque amputation. L'ouverture du trépan est également courante ici malgré les risques. A l'évidence, donc, le métier de barbier-chirurgien est tout à la fois exigeant et juteux. De sorte que les étrangers ne sont pas les bienvenus au sein de la corporation. En 1686, un nommé Antoine Cognecut, originaire de Béziers et venu passer son examen de maîtrise à Vannes dans le but de s'y installer, a dû recourir au juge de police pour obtenir gain de cause auprès du jury. Sous réserve, cependant, de ne pratiquer aucune opération conséquente sans l'assistance d'un de ses pairs agréé par la confrérie locale.

Une tête de veau !

Autre obstacle à surmonter avant d'être admis dans cette dernière : la possession d'un cadavre pour la dissection exigée en guise d'exercice pratique. Les exécutions sur l'échafaud étant rares à Vannes, le bourreau savait en profiter : le corps d'un supplicié était hors de prix. C'est ainsi qu'en 1679, un certain Gabriel Sauton de Locminé, qui envisageait d'ouvrir une boutique à Vannes, arrivé les mains vides à l'Hôtel-Dieu devant l'aréopage, dut s'en retourner comme il était venu. Il se présenta la fois suivante pourvu d'un bras d'homme, puant et fétide au point de ne pouvoir s'en approcher. A défaut de membre humain en bon état de conservation, il revint le troisième jour avec... une tête de veau. Le test d'aptitude n'en fut pas moins couronné de succès. Mais pas gratuit pour autant. L'usage imposait, en effet, aux lauréats de verser un millier de livres et d'offrir un banquet à leurs confrères.

Une messe

Bien que festive - le vin aidant -, cette dernière coutume, hélas, générait souvent des rixes. Ainsi, en 1659, un dénommé Ignace Hamard, éméché et roué de coups, se retrouva-t-il en prison. Sans compter les indemnités qu'il dut payer à ses antagonistes. A la suite de quoi, les festins de ce type furent interdits par ordonnance du juge de police de Vannes sous peine d'amende. En contrepartie, treize ans après, la communauté votait, de son côté, des statuts prescrivant la célébration d'une messe le jour de la fête des saints patrons de la corporation. En somme, donc, tout va bien alors pour les barbiers-chirurgiens vannetais. Sauf, tout de même, que sous le règne de Louis XIV, le Roi-Soleil à la chevelure flamboyante, ils se voient peu à peu confrontés à une concurrence inattendue : celle des perruquiers revendiquant eux-aussi le droit d'utiliser la fameuse lancette. Après tout, pourquoi pas ?

La guerre du bistouri

Réflexion faite, le Parlement leur donna du reste raison. Un agrément qui, toutefois, ne fit qu'envenimer les rapports entre les uns et les autres et provoquer une véritable guerre du bistouri. Un conflit auquel s'ajoutait celui opposant les professionnels « diplômés » de la ville aux guérisseurs de tout poil de la campagne et dont le rebouteux était, en quelque sorte, la figure emblématique. Sans parler des charlatans exerçant, par exemple à Rennes, sur la place des Lices avec la bénédiction du sénéchal. Pour preuve, un certain Turpin, se disant « consultant des urines, spécialiste des descentes de boyaux et du remède contre la rage... ». Autre exemple : ce Lescop prétendument « oculiste » en présence de qui le lieutenant de police de Vannes fermait tout bonnement les yeux et les vaillants boutiquiers locaux de la « chirurgie » courbaient complaisamment la tête.

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