Édouard Leclerc invente les grandes surfaces

Édouard Leclerc invente les grandes surfaces

En décembre 1949, Édouard Leclerc établit à Landerneau une boutique où il vend à prix de gros des produits de consommation courante, ouvrant ainsi la voie à un nouveau système de commerce dénommé aujourd'hui « grande distribution ».

Publié le 20/10/2008
Modifié le 13/07/2018
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Qui est donc ce précurseur des temps modernes, qualifié, durant les trente années qui ont accompagné son ascension, de « Zorro de la baisse », « Saint-Just du commerce », « Épicier-poète » ou, plus communément, « Petit épicier de Landerneau » (appellation que, du reste, il conteste) ? Ironie du destin : le pionnier des « grandes surfaces » a débuté dans une petite boutique, 13, rue des Capucins, remplacée, l'année suivante, par une sorte de hangar de 80 m² construit de ses propres mains. Né le 20 novembre 1926, sous le signe du Scorpion - celui de Charles de Gaulle et François Mitterrand, se plaît-il à rappeler -, Édouard Leclerc est un personnage hors du commun, à l'image, du reste, de son père, Eugène, originaire de Besançon, reconverti dans l'hôtellerie puis l'agriculture après une brève carrière dans l'enseignement et l'armée. Du mariage de ce dernier avec la fille de l'Hôtel de Bretagne, Marie Kerouanton, qui, elle, envisageait préalablement d'entrer au Carmel, quinze enfants devaient naître, le sixième étant le futur « révolutionnaire » du négoce.

Un commerçant hors normes

Adolescent, Édouard se prépare à entrer dans la vie religieuse. Le voilà donc séminariste successivement à Nessarges (Cantal), Uriage (Isère) et Lyon (Rhône). Jusqu'au jour où le supérieur de ce dernier établissement parvient à le convaincre de s'orienter sur une autre voie. Et à ceux qui s'étonnent de sa persistance sur le chemin conduisant à l'état ecclésiastique, il oppose sa foi inébranlable en Dieu. Pour autant, la Seconde Guerre mondiale ne sera pas sans conséquences pour lui et les siens. Deux de ses frères, requis en Allemagne par le Service du Travail Obligatoire, sont déportés dans des camps. Un troisième, qui a refusé de partir, se cache durant plusieurs semaines dans un réduit aménagé sous la maison familiale. Édouard, lui, est emprisonné durant six mois, à la Libération, pour atteinte à la sûreté extérieure de l'État. Une affaire qui sera classée sans suite par la cour de justice de Quimper. Et c'est alors que cet homme de coeur, qui voulait servir l'Église, conçoit le projet de se rendre utile aux autres. Il a vingt-trois ans : il sera commerçant, mais pas comme n'importe lequel.

Au volant d'une vieille camionnette

Vendre des produits de consommation courante à prix de gros de manière à ce que la clientèle en profite : tel est désormais son nouveau credo. Pour y parvenir, il invente un nouveau procédé commercial : s'affranchir des intermédiaires en s'approvisionnant directement chez les producteurs. Avec sa femme Hélène, la fille du photographe Diquélou de Landerneau, qu'il a épousée en sortant du séminaire, il s'installe donc dans une petite maison de cette fameuse rue des Capucins, peu fréquentée à l'époque. Lui fait le tour de la ville et des environs au volant d'une vieille camionnette pour écouler sa marchandise de porte en porte tandis qu'elle sert au magasin. On y trouve essentiellement à l'époque des biscuits, des bonbons, de l'huile et du savon. Du chocolat aussi mais il est stocké sous le lit. Vaille que vaille, l'affaire prend de l'ampleur, au point que, quatre plus tard, s'impose la nécessité d'un agrandissement. De simple boutique, la surface de vente devient alors, toutes proportions gardées, le premier centre de grande distribution. Le résultat sera à la clé.

Des mouvements de défense

En l'espace de dix ans, le chiffre d'affaires passe approximativement de 4.300.000 francs à 104.400.000. Entre-temps, une cinquantaine d'autres centres à l'enseigne Leclerc ont émergé dans le paysage socio-économique, à commencer par celui de Saint-Pol-de-Léon, en 1955, tenu par Pierre Léost, un camarade de séminaire d'Édouard Leclerc qui a travaillé un moment à ses côtés. S'ensuivra la reconversion dans le commerce de détail, selon les mêmes règles de vente, de deux grossistes, l'un à Tréguier, l'autre à Lannion. Le premier centre de la région parisienne verra le jour en 1959 à Issy-les-Moulineaux peu après celui de Grenoble. Actuellement, Leclerc, leader en France, regroupe plus de 550 centres. Une progression qui a accéléré la fermeture de nombreux commerces indépendants. Cinq ans seulement après l'ouverture de Landerneau, 8.000 avaient baissé le rideau. D'où, évidemment, la création de mouvements de défense sous la houlette d'abord de Pierre Poujade puis de Gérard Nicoud, président du CID-UNATI avec lequel Édouard Leclerc aura des prises de bec (lire ci-dessous).

Une croix baladeuse

Sans rapport, du moins sur le fond, avec le contexte concurrentiel où il est opposé durant les premières années aux grands industriels et petits commerçants, Édouard Leclerc en découd aussi un certain temps avec la municipalité de Saint-Divy, proche de Landerneau. Le litige, qui défraie la chronique à l'époque, porte sur un calvaire situé en bordure du domaine de 50 hectares entourant le manoir de La Haye, une belle demeure du XVII e siècle achetée en 1966. Classé monument historique, le calvaire, érigé en 1652 et qui voit nombre de pèlerins se prosterner à ses pieds lors de pardons, est enlevé sur décision du maire de la commune puis placé dans le cimetière. Au grand dam, bien sûr, de l'ancien séminariste qui en revendique la propriété, arguant du fait que, depuis l'origine, il relève des terres de La Haye. En sorte que, de sa propre initiative, il entreprend à son tour de le déplanter pour le ramener au point de départ. Un acte que n'admet pas non plus le premier magistrat. Sur son ordre et avec l'aide de bras alliés, armés de gourdins, la croix retournera, non sans mal, au champ des morts.

Gérard Nicoud, l'ennemi n° 1

Le combat d'Édouard Leclerc pour la grande distribution et en faveur de la clientèle a connu, durant des années, des épisodes orageux avec les représentants du petit commerce, en particulier Gérard Nicoud, originaire de Marseille et tenancier d'un bar restaurant à La Batie Montgascon dans l'Isère. Dire que les relations entre les deux hommes étaient tendues serait un doux euphémisme. En fait, il s'agissait de véritables altercations. Mais l'aubergiste isérois ne s'en prenait pas seulement au « petit épicier de Landerneau », responsable, à ses yeux, du déclin du petit commerce. À la tête du CID-UNATI, mouvement syndical regroupant en particulier les victimes de cette « révolution » du négoce, il s'attaquait aussi aux pouvoirs publics qu'il accusait de complicité avec Édouard Leclerc par le biais de lois jugées pénalisantes.

Des dossiers fiscaux dérobés

L'une de ses opérations les plus mémorables, à cet égard, aura été la soustraction, en avril 1969, de trois tonnes de dossiers fiscaux à la perception de la Tour du Pin par un commando de trois cents chefs d'entreprises à ses ordres. Cette contestation active et continue lui vaudra d'ailleurs une centaine de procès en correctionnelle et d'accomplir au total près d'un an et demi de prison.

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