Erika : L'heure du réquisitoire

Erika : L'heure du réquisitoire

Les choses avancent. Presque quatre mois après le début du procès du naufrage de l'Erika, le groupe Total, les secours, l'armateur, le gestionnaire, le capitaine et la société de classification du pétrolier sauront aujourd'hui quelles peines les deux procureurs demandent à leur encontre. Concernant les dommages et intérêts réclamés par les collectivités et associations s'estimant victimes de la marée noire, il est d'ores et déjà établi que le total avoisinera le milliard d'euros.

Publié le 04/06/2007
Modifié le 16/05/2018
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Après plus de trois mois d'audience, deux semaines de plaidoiries de parties civiles, le procès de l'Erika entre donc dans une nouvelle phase avec les réquisitions de l'accusation. Le procureur, qui s'occupe de la procédure pénale, n'a pas à se prononcer sur la peine que redoutent vraiment les prévenus : les demandes de dommages et intérêt qui relèvent du contentieux civil (lire plus bas) . Mais rien ne l'empêche de « rappeler les termes du débat » en matière de préjudices réclamés. Ceux qui ont souffert de la marée noire qui a ravagé en décembre 1999 quelque 400 km de côtes sont restés très discrets, très peu venant témoigner, soit par manque de moyens financiers leur permettant de venir à Paris suivre le procès, soit par peur d ' associer à nouveau le nom de leur ville à ce drame et de compromettre la saison touristique. Tout au plus les paludiers ont-ils raconté leur combat contre la masse visqueuse du pétrole lourd envahissant les marais salants de Guérande, tandis que les militants de la Ligue de protection des oiseaux décrivaient « l ' hécatombe » ornithologique.

Une immunité diplomatique ?

L ' absence du capitaine, l ' Indien Karun Mathur resté dans son pays, n ' a pas non plus permis de visualiser le naufrage autrement qu ' à travers les milliers de pages de rapports d ' experts. Ceux-ci en revanche n ' ont pas manqué. Architectes navals, courtiers maritimes, juristes, professeurs ont produit graphiques et diagrammes pour démontrer avec la même conviction des thèses contradictoires sur la cause du drame. Et si le monde du transport maritime a été longuement disséqué, les pratiques très contestées des pavillons de complaisance ont été à peine abordées, d'autant que celui de l'Erika, Malte, ne figure pas sur le banc des prévenus. Pourquoi le capitaine a-t-il lancé un premier appel de détresse puis l'a annulé ? Quand Total a-t-il su les risques de pollution ? L'armateur et le gestionnaire ont-ils mégoté sur les réparations, par manque d'argent ? Ces questions devront être tranchées par le tribunal. Restent encore les épineux problèmes juridiques. La société italienne Rina, accusée d'avoir délivré des certificats de navigabilité à un pétrolier usé et corrodé, peut-elle invoquer l'immunité diplomatique en arguant qu'elle tient ses pouvoirs de Malte ? La responsabilité de Total, simple affréteur, est-elle induite par le vetting, cette inspection des navires que les compagnies pétrolières effectuent de leur propre chef, alors qu ' aucune réglementation ne les y oblige ? La loi doit-elle reconnaître pour la première fois la notion de préjudice « écologique » , atteinte au patrimoine naturel difficile à évaluer ? Comment articuler la loi pénale avec la convention internationale sur la pollution maritime Marpol, qui ne prévoit de sanction que si la faute intentionnelle est démontrée ?

Une note très salée

« Petite journée aujourd'hui ! » , ironisait la semaine dernière un avocat de la défense à l'issue d'une audience où les demandes de préjudices cumulées se comptaient en simples millions d'euros. Sur les quelque 110 parties civiles, moins de la moitié a plaidé devant le tribunal correctionnel de Paris, les autres déposant une demande écrite.

Des dizaines de communes

« Le dossier de l'Erika a pris 20 volumes en 15 jours » , s'exclamait mercredi le président Jean-Baptiste Parlos, après deux semaines de litanie d'invocations de préjudices. Difficile donc de connaître le montant total des indemnités demandées, mais de source judiciaire, on estime qu'il tournera autour du milliard. Rien que ce matin, l'Etat entend réclamer 153 millions d'euros, tandis que M e Jean-Pierre Mignard en demandera 150 au total pour la Bretagne, Poitou-Charentes, les Pays-de-la-Loire, le Finistère et huit communes. Première réclamation des collectivités : les sommes investies pour combattre la marée noire n'ont toujours pas été totalement remboursées par le Fipol, ce fonds international d 'indemnisation abondé par les compagnies pétrolières. La Vendée et le Morbihan demandent 10 M €; Houat, Quiberon, La Baule ou Guérande , deux millions . Des dizaines de communes veulent leur million. Le seul village de Penestin (1.550 habitants) aligne les préjudices matériel (163.000 euros), moral (deux millions) et écologique (1,5 million). Les associations ne sont pas en reste, comme la Ligue de protection des oiseaux (LPO) qui demande 800.000 euros de préjudice moral et 10 à 11 millions pour le dommage écologique de cette « plus grande catastrophe ornithologique au monde » . L'association Robin des Bois demande que les coupables versent « au moins 50 millions » pour financer un suivi écologique sur 20 ans. Un million demandé par Vigipol, syndicat mixte de protection du littoral breton, 730.000 par le capitaine de l'Erika... L'addition présentée est salée, mais qu ' en restera-t-il quand le jugement viendra ?

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