Houat et Hoëdic en théocratie

Houat et Hoëdic en théocratie

La vie insulaire, du fait de ses contingences, a souvent favorisé l'émergence de modes de vie particuliers. Les îles bretonnes n'échappent bien évidemment pas à ce phénomène. C'est le cas de Houat et Hoëdic, au large du Morbihan, qui, au cours du XIX e siècle, se sont dotées de « constitu- tions », accordant de larges pouvoirs aux recteurs de ces paroisses.

Publié le 13/08/2007
Modifié le 16/05/2018
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Durant la Révolution française et l'Empire, Belle-Ile-en-Mer et son archipel sont régulièrement occupés par la marine britannique, qui en fait une base pour bloquer les ports de Nantes et Lorient et appuyer militairement les chouans insurgés, particulièrement actifs dans le Morbihan. C'est le cas des petites îles de Houat et Hoëdic, situées entre Quiberon et Belle-Ele. Outre les passages des Anglais, elles doivent aussi supporter les « visites » des troupes républicaines qui, parfois, les considèrent d'un oeil hostile et s'y livrent à des actes de pillage. Néanmoins, les belligérants semblent s'accorder à faire de ces deux îles une sorte de territoire neutre, où l'on peut négocier, notamment le sort des prisonniers, ou soigner les blessés lors des affrontements alors fréquents. Plusieurs morts britanniques y sont ainsi enterrés. Une portion du littoral de Hoëdic conserve d'ailleurs le nom de « Bered en Anglez », le « cimetière des Anglais ».

D'habiles intermédiaires

« On dit que les Houatais et les Hoedicais, ayant plusieurs fois porté secours à des équipages anglais en péril, pouvaient, avec un simple passe signé de leurs recteurs, pêcher et naviguer sans crainte d'être retenus prisonniers de guerre », assure l'abbé Le Cam, auteur d'une monographie sur ces îles. Après la Constitution civile du clergé, les recteurs de ces îles rentrent dans une semi-clandestinité mais n'en continuent pas moins à jouer un rôle actif dans la vie des communautés. Habilement, ces prêtres se font souvent les intermédiaires entre les îliens et les troupes britanniques. Ils négocient ainsi le libre exercice de la pêche ou la libération d'insulaires capturés en mer.

Les chartes de Houat et Hoëdic

« Les recteurs des îles, par l'ascendant de leur vertu, surent conquérir l'estime des officiers anglais, même de ceux qui ne partageaient pas leurs croyances », souligne l'abbé Le Cam. Ce rôle de médiateur assurera un réel prestige aux ecclésiastiques après la fin du conflit. Longtemps coupés du continent, les habitants de ces deux îles s'administraient donc eux-mêmes, piochant dans le droit coutumier des règles pour régir la vie sociale. Un état de fait qui a continué après la Restauration et le départ des Britanniques. Les insulaires jugèrent même opportun de coucher sur le papier de véritables constitutions. Une charte de Hoëdic fut ainsi rédigée en 1822. Houat s'en dota d'une également à la même époque. Ces textes se veulent un manuel de savoir-vivre collectif.

Un bateau pour le recteur

« Fondé sur les vrais intérêts de ceux pour qui il est fait, le Règlement maintient la paix parmi tous les membres », indique le préambule de lacharte d'Hoëdic. « Il fixe à chacun ses droits et ses devoirs et ne permet pas que l'on entreprenne sur les droits des autres ; il protège les faibles contre les forts et rend à tous une égale justice, il prévient les dissensions qui ne mettent que trop souvent le trouble et le désordre parmi les hommes qui ne connaissent point de règles ; il encourage les bons et intimide les méchants. » Dans ce dispositif, le recteur occupe une place centrale. La charte lui octroie un certain nombre de moyens de subsistance. Il a ainsi droit à « une part de jonc que l'on coupe dans l'étang » et chaque famille est « tenue de lui donner un minot (*) ». Les habitants sont aussi obligés de participer aux corvées du presbytère. Enfin, l'île doit fournir au recteur un « bateau assez fort pour son service d'été ». Pour son gouvernement, le recteur peut s'appuyer sur un garde-chasse, dont le devoir est « d'empêcher principalement les étrangers de faire tort à quelque Hoedicais » et un garde-champêtre qui rend compte au recteur des « bestiaux qui passent dans les contrées ensemencées, dans l'étang clos et des murs qui ne sont pas en bon état ». Pour les grandes décisions, le recteur convoque le conseil des notables, douze hommes choisiss « parmi les plus anciens et les plus raisonnables de l'île ».

Une gestion collective des ressources

Le règlement détermine, en effet, la gestion collective d'une partie des ressources naturelles de l'île. C'est au recteur qu'il appartient de contrôler l'entretien des fossés de l'étang et de la coupe collective des joncs. De même, sur l'île « personne ne doit toucher à la fougère publique qu'après la pêche de la sardine, et lorsque le recteur l'aura publié. » Enfin, si la chasse est « libre en toute saison pour les Hoedicais », les étrangers ne peuvent y chasser et, une fois encore, le recteur peut l'interrompre « pour des raisons légitimes ». Le recteur gère aussi l'instruction des petits îliens. Une femme - en général une religieuse venue du Continent - occupe la fonction d'institutrice. Elle est rétribuée par la communauté et par les profits issus de la vente de marchandises de la boutique de l'île. La Charte réglemente d'ailleurs certaines activités commerciales. Il existe ainsi une cantine, où l'on peut se procurer de l'alcool. Mais, précise le texte, « on ne peut faire venir du vin en gros dans l'île sans la permission du recteur... Celui-ci doit être très sévère, afin que la cantinière ne donne jamais de boissons à crédit, même pour l'espace d'un quart d'heure, autrement il se glisserait dans l'île des désordres irrémédiables. »

Un interdit spécial pour les filles !

Toute une série d'articles réglemente la pêche, les offices, les fêtes, la vie des jeunes gens... Les curés des îles veillent de manière sourcilleuse à la moralité de leurs ouailles. Ainsi, « il n'est permis à aucune fille qui n'a point atteint l'âge de trente ans de sortir de l'île sans la permission de son recteur, et avec des raisons graves ; autrement elle serait bientôt gâtée. » Ce règlement collectif, certes strict et assurant un rôle prépondérant aux prêtres, semble avoir été relativement accepté par les insulaires. Du moins, ce n'est pas une révolte qui y mit progressivement fin, mais une intervention extérieure. En 1880, en effet, l'administration préfectorale s'inquiète de ce curieux statut et nomme un agent spécial afin d'assurer les fonctions municipales des îles, ce qui, dans un premier temps, ne semble guère avoir troublé la communauté. « Pendant quelque temps, on marcha comme par le passé, note l'abbé Le Cam ; le nouvel agent savait signer, il signait les actes, mais c'était le recteur qui remplissait les formules pour lui complaire, rédigeait la correspondance. »

Un douar africain...

Le pouvoir de la charte s'estompait peu à peu. Mais le curieux système de ces îles continuait à intriguer les visiteurs de passage. En visite à Houat, en 1875, Alphonse Daudet se lance d'abord dans une description peu flatteuse : « Tel qu'il est, ce village morbihannais nous fait penser à quelque douar africain ; c'est le même air étouffé, vicié par le fumier qu'on entasse sur les seuils, la même familiarité entre les bêtes et les gens, le même isolement d'un groupe d'êtres au milieu d'une immense étendue. » Il n'en remarque pas moins, le curieux système qui régit l'île. « Mr le recteur, le plus haut personnage de l'île de Houat, est sa véritable originalité. Ici, le prêtre réunit tous les pouvoirs, absolument comme un capitaine à son bord. E son autorité sacerdotale, il ajoute celle des fonctions administratives. »

(*) Ancienne mesure de capacité pour les matières sèches.

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