Identité bretonne, la fin des tabous

Identité bretonne, la fin des tabous

La majorité des Bretons est fière aujourd'hui de leur identité, ce qui n'a pas toujours été le cas, dans un passé récent. Quelle est la force de cette bretonnité ? Quelles en sont les limites ? A-t-elle de l'avenir, dans un contexte de mondialisation de l'économie et des cultures ?

Publié le 01/09/2005
Modifié le 08/04/2024
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Gwenn ha du, symbole de l'identité bretonne
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Ronan Le Coadic, sociologue, a accepté d'alimenter la réflexion.

  • Qu'est ce que cela veut dire, aujourd'hui, se sentir Breton ?

« Ce n'est plus une honte, comme cela a pu l'être dans le passé, même s'il reste une minorité de Bretons qui éprouvent un malaise lorsqu'on aborde la question de leur bretonnité. Au sein de cette minorité, d'ailleurs, le sentiment de gêne est souvent compensé par un certain regain de fierté. Pour le reste, il existe diverses façons de se sentir Breton. Les uns peuvent être actifs et militer pour la reconnaissance de la langue et de la culture bretonnes; d'autres, moins nombreux,défendent un projet politique. Mais la grande majorité de la population se sent aujourd'hui l'héritière d'une culture qui s'est beaucoup érodée et qu'il ne faut pas perdre... Alors qu'il y a quelques décennies on rejetait tout ce qui était breton, aujourd'hui 80 % de la population a une vision positive de la bretonnité; et, pour beaucoup de moins de vingt ans, cela coule même de source ».

  • De quand date cette prise de conscience ?

- « Le basculement de l'opinion s'est opéré en une vingtaine d'années. L'influence des musiciens a été importante. Alan Stivell a montré le chemin, et le niveau musical en Bretagne est, aujourd'hui, exceptionnel. Les écoles Diwan ont également pesé sur cette évolution, parce qu'elles ont su s'implanter localement et créer des réseaux. Mais, plus fondamentalement, les Bretons ont changé leur rapport à l'État : ce n'est plus, désormais, un Dieu-le-père à la parole sacrée. Dans le passé, l'image des pauvres paysans bretons, alcooliques et sauvages -largement diffusée par l'école républicaine- avait convaincu les Bretons qu'il fallait qu'ils se débarrassent de leurs oripeaux de bretonnité (langue, vêtements, habitat...) pour devenir des hommes modernes. La bretonnité était une chose impure, sale, qu'ils refoulèrent, comme on refoule parfois le plaisir de la sexualité. Deux voies de promotion sociale et de modernité furent empruntées : les uns se jetèrent dans les études, les autres dans la modernisation de l'agriculture. Mais aujourd'hui, on est en pleine crise de la modernité et de l'État. Plus personne ne croit que l'État c'est Dieu ni que le progrès va tout solutionner. Au contraire. »

  • Pour autant, tous les tabous sont-ils tombés ?

« Je ne crois pas. C'est un processus lent. Il est toujours très difficile de casser les tabous. Quand on s'en prend à eux par la violence, par exemple, comme cela a été un peu le cas en Bretagne, on risque surtout de les renforcer. Aujourd'hui, les tabous tombent progressivement. Mais, d'une part, l'identité bretonne n'est toujours pas reconnue des élites au pouvoir. Parler de culture bretonne à Paris, c'est s'exposer à la raillerie. Ne s'agit-il pas d'un folklore dérisoire ? D'autre part, la dimension politique de la question est généralement mise sous le boisseau. Les Bretons craignent un retour des vieux démons. Pour l'instant, ils vivent leur bretonnité de façon émotionnelle, mais pas de façon rationnelle, de peur de remettre en cause le pouvoir de l'État. Ils repoussent souvent le mot 'autonomie', par exemple, car ils le confondent avec  indépendance et même autarcie... Pourtant l'autonomie peut être une solution nuancée et subtile pour l'avenir des relations entre les peuples, un peu partout sur la planète. La question mérite au moins d'être débattue. Il est temps de répondre à ces questions de société, de démocratie, à un moment où nous sommes en pleine crise de représentation politique. La population attend qu'on lui propose de grands projets. »

  • Pourquoi l'identité bretonne est-elle si forte ?

« C'est, en premier lieu, une réalité historique plus que millénaire. Jules César parlait déjà des Bretons, au Ier siècle avant Jésus-Christ. Ceci dit, l'histoire n'explique pas tout; ainsi, les puissants Burgondes n'ont pas généré, aujourd'hui, une forte identité bourguignonne. En fait, la culture et l'identité bretonnes ne sont pas une simple reproduction du passé. Chaque génération produit, aussi, une culture nouvelle. Qu'y a-t-il de commun, en effet, entre les festoù-noz de la société paysanne d'avant-guerre et ceux d'aujourd'hui ? La production culturelle bretonne est d'autant plus féconde qu'elle se nourrit à la fois du passé et d'influences extérieures, qu'il s'agisse, sur le plan musical, des mélodies ou des instruments. La société bretonne fait preuve d'ouverture d'esprit depuis très longtemps, et pas seulement dans les régions littorales. Dans les pays de bocage, en effet, la société s'est rendu compte très tôt qu'il fallait compenser un environnement physique cloisonné par la multiplication des rencontres. Les regroupements religieux, festifs ou agricoles permettaient de faire circuler les idées. Tout cela joue certainement un rôle dans le caractère identitaire d'aujourd'hui. Par ailleurs, les Bretons sont porteurs de valeurs de tolérance et de respect de l'individu qui leur viennent sûrement en partie de leur fond chrétien. On retrouve les mêmes valeurs, d'ailleurs, dans le communisme du Centre-Bretagne qui mettait traditionnellement l'accent sur l'altruisme et le dévouement. »

  • Quel avenir pour la bretonnité face à la mondialisation ?

« Partout dans le monde, aujourd'hui, les individus cherchent à être les sujets, les maîtres de leur destin. Ils choisissent, ou non, de mettre en avant telle ou telle facette de leur identité. Ils composent leur propre modèle familial. Ils se bâtissent un syncrétisme religieux... C'est dans ce cadre qu'il faut poser la question bretonne, me semble-t-il. Cette évolution se produit dans le contexte d'un monde de plus en plus globalisé, ce qui n'est ni un mal ni un bien. Tout dépend de ce que l'on va en faire. Face à la toute-puissance des marchés, i l'on parvient à mettre en place une régulation politique, à inventer des systèmes plus larges que l'État-Nation, à partager les richesses avec les pays pauvres, à respecter et à reconnaître les identités culturelles, la mondialisation peut être une chance pour l'humanité. Quoi qu'il en soit, la question des identités -l'identité bretonne comme les autres- se pose désormais dans cette perspective mondiale. Le sentiment identitaire est question d'équilibre, en fait : s'il est trop fort, il conduit au refus d'autrui ou à l'impérialisme mais, s'il est trop faible, il conduit à des comportements autodestructeurs (alcoolisme, drogue, suicide). »

Recueilli Par Hervé Queillé

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