La « Juliette » de Victor Hugo

La « Juliette » de Victor Hugo

Née à Fougères en 1806, l'actrice Juliette Drouet, dépourvue de véritable talent, n'a guère brillé sur les planches. Elle doit principalement sa notoriété à Victor Hugo dont elle a partagé la vie durant plus d'un demi-siècle.

Publié le 05/03/2007
Modifié le 20/03/2018
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Juliette Drouet

Hormis un rôle de princesse dans la pièce « Lucrèce Borgia », c'est un fait que la carrière artistique de Juliette Drouet n'a pas marqué les milieux du théâtre de son temps. Qui plus est, cette identité n'est pas celle de l'état civil : elle s'appelle, en réalité, Julienne Gauvain. Une bonne fée se serait-elle donc penchée sur son berceau pour qu'elle entre ainsi par la grande porte dans l'Histoire. Non plus, hélas ! Issue d'une modeste famille habitant la rue de la Révolution à Fougères, elle a connu d'abord une triste enfance. Après quoi, femme effacée et d'intérieur, elle l'est restée tout au long de sa vie jusqu'à incarner l'image de « l'éternel féminin ». La petite Julienne était âgée seulement de quelques mois lorsque, en peu de temps, elle a perdu ses parents : sa mère est décédée en la mettant au monde et son père, un misérable artisan tailleur sans le sou et à la santé délabrée, l'a suivie dans la tombe dès l'année suivante. Orpheline, l'enfant est placée dans un hospice de la ville avant d'être recueillie par un grand oncle dont elle empruntera plus tard le patronyme, RenéDrouet, garde général des forêts.

Vol au-delà d'un cloître

Certes, au commencement, à défaut d'une réelle affection pour la petite Julienne, celui-ci va faire preuve d'indulgence pour ses espiègleries. Cependant, la fillette n'en sera pas moins livrée à elle-même et s'en accommodera apparemment fort bien, fréquentant l'école quand il lui plaisait, préférant la compagnie des petites gardiennes de troupeaux dans la campagne. Jusqu'au jour où l'oncle René devra quitter la Bretagne pour s'établir à Paris. L'enfant, qui va sur ses dix ans, sera alors confiée aux Bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement dans l'espoir qu'elle-même devienne religieuse. Douée d'une grande intelligence Julienne ne tardera pas, au demeurant, à rattraper le temps perdu, sans toutefois laisser entrevoir les signes de la vocation souhaitée. Tout au contraire. Rétive à la dure discipline imposée, la jeune pensionnaire laissait vagabonder ses pensées par-dessus les murs du cloître dans un monde imaginaire vers lequel elle se sentait irrésistiblement attirée. De sorte que lorsqu'elle dut subir l'épreuve préparatoire au noviciat, ses dispositions pour la vie religieuse apparurent tout à fait incertaines. Exit, donc, le couvent en 1822.

Rencontre avec un dandy

Après une courte éclipse, on la retrouvera trois ans plus tard non pas à Fougères mais - ironie de l'histoire - rue... de l'Abbaye à Paris ! Elle partage alors sa vie avec un dandy dont la réputation sulfureuse sur le plan privé n'a d'égale que sa renommée dans le domaine artistique. Il s'agit du sculpteur James Pradier, professeur à l'Ecole des Beaux-arts, ancien prix de Rome. Fréquentant les salons parisiens, cet individu cache, sous son raffinement affecté, un bluffeur et un vaniteux qui se glorifie notamment de ses conquêtes féminines. Dans son atelier, se côtoient régulièrement les monstres sacrés des milieux en vue, tant politique que littéraire et du spectacle, tous soucieux d'entretenir leur notoriété. Par quel mystérieux chemin la fille du pauvre tailleur breton, à qui son oncle Drouet voulait faire porter l'habit religieux, est-elle arrivée dans ce haut lieu du gratin parisien ? Probablement, le maître, en quête de modèles pour ses oeuvres d'art, a-t-il été séduit pas sa beauté. Quoi qu'il en soit, c'est ici que Julienne va donner naissance, en 1826, à une petite Claire dont il reconnaîtra la paternité sans pour autant envisager d'épouser la maman.

De Bruxelles à Paris

Avec la présence de l'enfant, les liens unissant le couple vont effectivement peu à peu se distendre. Non à cause de la fillette, envers qui le père manifeste de la tendresse, mais parce que, indépendamment, se posent des problèmes financiers : sans travail, la maman ne dispose d'aucun revenu personnel. De son côté, malgré les apparences et son rayonnement, le papa ne roule pas sur l'or non plus. En tout cas, il n'est nullement décidé à pourvoir aux besoins de sa compagne. Lorsqu'elle ose lui demander quelque subside, il répond qu'il est pareillement démuni. Aussi la presse-t-il de s'engager dans une troupe de théâtre. Bruxelles, où il a des relations, lui semble à cet égard une ville parfaitement désignée. Sans autre perspective d'avenir professionnel, Julienne prend donc, en 1828, la route de la capitale belge, abandonnant sa chère « petite tête blonde » aux mains de Pradier tout heureux, lui, de sa liberté retrouvée. Les débuts de l'actrice sur les planches ne seront guère prometteurs. Si ce n'est tout de même que, sous le pseudonyme de Juliette Drouet, elle acquiert un certain renom qui va lui permettre de retrouver à la fois sa fille et Paris où elle poursuivra sa carrière.

« Toto » et « Juju »

Et c'est là, précisément qu'à l'occasion d'une répétition de « Lucrèce Borgia », en 1833, elle va croiser le regard enamouré de l'auteur de la pièce. Un regard d'autant plus brûlant que Victor Hugo est en froid avec sa femme Adèle. La première nuit d'amour de « Toto » et de « Juju » aura lieu après une représentation des « Misérables ». S'ensuivra une véritable aventure, entrecoupée de ruptures et de retrouvailles enflammées. Le voyage de l'écrivain en Bretagne, en 1834, en sera l'un des grands épisodes. Après une violente dispute, l'amante éplorée s'était réfugiée avec sa fille chez sa soeur, à Saint-Renan. Ensemble, ils vont alors sillonner les départements bretons. Au passage, Victor Hugo s'apitoiera sur la misère qui règne dans le pays à l'image de celle dans laquelle demeure plongée l'actrice. Au point qu'il s'engagera à lui venir en aide lorsque, lasse des tracas causés par son impécuniosité, elle mettra un terme à sa carrière. En dépit des soubresauts de leur vie en commun, elle restera attachée sentimentalement au poète jusqu'à sa mort en 1883. Pour autant, son voeu ne sera pas exaucé. Elle l'avait prié d'inscrire quelques vers sur sa tombe à Saint-Mandé...

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