Pêche : La morue de la discorde

Pêche : La morue de la discorde

Durant quatre siècles, des marins bretons ont pratiqué la pêche à la morue dans le nord de l'Atlantique. Une activité rémunératrice, certes, mais qui a traversé des périodes difficiles et connu bien des aléas et des drames.

Publié le 21/02/2007
Modifié le 20/03/2018
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La morue de la discorde

Aussi bizarre que cela puisse paraître, la pratique religieuse est étroitement liée à l'histoire bretonne de la pêche à la morue, tout au moins à ses débuts. En ce temps-là, en effet, on ne badinait pas avec l'observation de l'abstinence alimentaire imposée, certains jours, par les commandements de l'Eglise. On n'en comptait pas moins de cent cinquante dans l'année, carême compris. C'est dire que cette règle interdisant la consommation de viande causait, sur le plan pratique, de sérieux problèmes de nourriture à la population, principalement dans l'arrière-pays, où la présence du poisson de mer frais sur les tables était exceptionnelle. Aussi les pêcheurs du nord de la Bretagne se précipitèrent-ils sur les lieux pour satisfaire les besoins du marché quand ils apprirent l'existence de bancs de morue aux environs de Terre-Neuve entre l'Islande et le Canada et qu'ils eurent vent des moyens de conservation utilisés dans ces régions. En Armorique, la demande était particulièrement pressante dans les communautés religieuses où l'application stricte du précepte catholique les jours « maigres » plongeait les autorités dans l'embarras. En témoignent les interventions réitérées de l'abbaye de Beauport, à Paimpol, auprès des pêcheurs de Bréhat.

« La Jaquette » contestée

Cette épineuse question du substitut à la viande étant réglée grâce aux apports des morutiers, avec le temps, une controverse s'ensuivit rapportée par les historiens. Il s'agissait, cette fois, de savoir qui des pionniers bretons avaient ouvert la route de Terre-Neuve. Aux pêcheurs du Val-André, prétendant qu'ils étaient les premiers, ceux de Bréhat opposèrent que, lorsque « La Jaquette » de Dahouet arriva, en 1510, dans l'embouchure du Saint-Laurent, cela faisait déjà une cinquantaine d'années qu'une goélette bréhatine l'y avait précédée. Pour preuve, les transactions passées entre le patron de celle-ci et les moines de Beauport. Un argument qui toutefois ne donna pas entière satisfaction, car restait à expliquer pourquoi, sur ces terres lointaines et glacées, un certain nombre de caps et de havres portaient le nom de lieux-dits de Saint-Malo et de ses environs, tels que Saint-Lunaire, Boutitou et Saint-Julien. Ces dénominations ne témoignaient-elles pas d'une présence malouine plus ancienne encore dans ces parages ? Le débat reste ouvert encore aujourd'hui. Toujours est-il que des écrits du XV e siècle plaident dans ce sens. Ils rapportent qu'à l'époque, la morue séchait partout à Saint-Malo devant les remparts et les maisons.

Bretons contre Esquimaux

Certes, la pêche à la morue de Terre-Neuve faisait le bonheur de la population bretonne, en dépit de la saumure qui coulait dans les ruisseaux etempuantissait l'atmosphère. Pour autant elle n'allait pas sans heurts avec les autochtones canadiens et les Esquimaux du Labrador pratiquant, eux, la chasse au loup marin dans ces mêmes secteurs. Les querelles avec les pêcheurs malouins, paimpolais et briochins tournaient parfois aux affrontements sanglants. Au point qu'en 1610 les morutiers de Saint-Malo se trouvèrent dans l'obligation de solliciter l'assistance de deux navires de guerre pour assurer leur protection et ce dans le contexte du conflit armé opposant alors la France à l'Angleterre au sujet, précisément, de Terre-Neuve, chacun de ces deux pays revendiquant la possession de cette île. Vaille que vaille, pourtant, l'armement morutier breton poursuivit son développement, qui sur la côte est du Canada, qui au voisinage de l'Islande. Un recensement effectué en 1664 fait apparaître que Saint-Malo comptait à lui seul 61 bateaux équipés pour cette pêche.

Les risques du métier

Les autres ports « islandais » du nord de la Bretagne n'étaient pas en reste. Paimpol, pour sa part, en possédait près d'une centaine à la fin du XIX e siècle. L'armement morutier progressait sur la Manche, mais pas seulement en nombre. Contredisant les prévisions de l'eexplorateur malouin Jacques Cartier qui, en 1550, déclarait qu'on ne verrait jamais en Bretagne de navires de pêche jaugeant deux cents tonneaux, un siècle plus tard Saint-Malo possédait sept terre-neuviers dépassant ce tonnage et, peu de temps avant la Révolution, la moyenne des bateaux bretons armés pour la morue s'élevait à 190 tonneaux. La sécurité des équipages n'en était pas pour autant mieux assurée. A Terre-Neuve, le navire jetait l'ancre dans les hauts-fonds et les hommes se répartissaient par groupes de quatre dans les doris qui partaient à la recherche des bancs de poissons. Sur la mer formée, le danger était ici quasi permanent, tant pour les pêcheurs penchés sur leurs lignes que pour le voilier lui-même. Durant les quatre-vingt-trois années de la grande aventure paimpolaise en Islande, cent-vingt goélettes ne revinrent jamais à leur port d'attache et l'on dénombra environ deux mille victimes.

La foire aux matelots

Le recrutement des marins s'effectuait vers douze ou treize ans. E l'entrée de l'hiver, les patrons de morutiers faisaient le tour des auberges de campagne à la recherche de jeunes paysans désireux de quitter la terre dans l'espoir d'un avenir meilleur. Par ailleurs, se tenait, en décembre, au Vieux-Bourg, près de Saint-Malo une foire annuelle où, venant des localités voisines, se rassemblaient les candidats à l'embarquement. D'autres, enfin, reconnaissables à leurs béret et chemise de laine, venaient directement tenter leurs chances sur les quais de Saint-Servan et de Saint-Malo. L'accord se concluait généralement dans un cabaret voisin, devant une bolée de cidre ou un verre d'eau-de-vie, avec, en prime, un petit acompte en espèces sur le montant des pêches à venir. Plus le ciré, la couverture de laine et la paillasse. Toutefois, le contrat comportait aussi des désavantages qui, souvent, passaient inaperçus des futurs matelots ne sachant ni lire ni écrire. En cas de naufrage, par exemple, ils étaient tenus d'embarquer sur un autre bateau, sans compensation de salaire, les fortes têtes étant traduites en Justice.

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