Total pressé par le temps

Total pressé par le temps
Publié le 12/02/2007
Modifié le 29/06/2018
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Total pressé par le temps

Total pressé par le temps

Londres, le 20 novembre 1999. Total cherche un navire pour transporter sa dernière livraison de pétrole à Enel, la société nationale italienne d'électricité. Selon l'instruction, Total est pressé par le temps (ce que dément l'intéressé) : tout doit être livré avant le 31 décembre, sous peine d'une astreinte de 3€ par tonne manquante (une paille pour Total, NDLR)... ou de perdre ce client. Aux conditions et à la période souhaitées, vers le 8 décembre, au départ de Dunkerque, un seul pétrolier est disponible : l'Erika. L'instruction reproche à Total d'avoir été, au mieux, léger dans le choix de ce vieux pétrolier. Le simple fait que les certificats légaux fournis étaient provisoires aurait dû, selon l'instruction, attirer l'attention de Total.

L'Erika n'aurait jamais dû être affrété

Au lieu de cela, la vérification ou la mise à jour des informations aurait été insuffisante ou inexistante. De plus, selon les propres règles internes de Total, l'Erika n'aurait jamais dû être affrété. L'autorisation d'affrètement donnée en novembre 1998 avait expiré (de quinze jours) au moment où le voyage débute. Une nouvelle autorisation d'un an (qui nécessitait une inspection interne) aurait dû être demandée. Or, celle-ci n'avait aucune chance d'être accordée. Total s'interdit d'affréter les navires de plus de 25 ans et l'Erika allait avoir 25 ans trois semaines après son départ. Enfin, l'instruction estime que si, selon le contrat d'affrètement, Total n'avait aucun rôle à jouer dans le déroulement du voyage (donc pas de responsabilité), dans la réalité, elle a pourtant joué ce rôle, en donnant au commandant des instructions (devoir d'information, consignes pour la vitesse, la sécurité, la direction...). L'instruction considère comme impossible que Total n'ait pu être informé de la réalité et du déroulement de la crise. Quand bien même, conclut l'instruction, Total disposait de suffisamment d'informations alarmantes, et aurait donc dû tenter d'agir. Cette analyse fait endosser à Total la co-responsabilité de la catastrophe.

' On nous a trompés '

Face à ces accusations, le groupe pétrolier n'a qu'une réponse : ' Le bureau de certification du Rina nous a donné toutes les garanties légales pour affréter ce navire qui sortait, par ailleurs, d'un chantier de grande révision. Ces garanties étaient tronquées. On nous a trompés. Nous ne pouvions pas le savoir. ' Pour le reste, Total nie farouchement avoir été informé de la gravité et de l'évolution des avaries.

Le propriétaire. Un financier endetté et en fuite

L'Erika est l'un des quatre pétroliers, tous âgés de plus de vingt ans, appartenant à un armateur italien, Giuseppe Savarese. Un pur financier qui, selon l'instruction, n'a aucune expérience en matière maritime, et dont l'activité consiste à acheter et à revendre des navires. Difficile de retrouver la trace de ce propriétaire extrêmement discret, niché derrière une dizaine de sociétés off shore. Toujours selon cette source, l'homme, endetté, a savamment et sciemment orchestré l'éclatement de son activité, ce qui lui permet, notamment, de toucher d'inespérées avances de trésorerie. Il a, ainsi, délégué les gestions technique, commerciale et nautique à plusieurs sociétés sans lien capitalistique entre elles, et dont l'une d'elles (gestionnaire technique) ne répond pas à la réglementation internationale. Il ne conserve que la gestion financière du navire. Pour rembourser ses créanciers, toujours selon l'enquête, il exploite ses vieux navires à outrance et investit à minima dans leur entretien. Ainsi la dernière des réparations effectuées sur l'Erika n'a-t-elle pas été réalisée dans les normes. Il n'ignore rien du mauvais état de l'Erika. Considéré comme étant en fuite, il fait l'objet d'un mandat d'arrêt international.

Le commandant. Inexpérimenté en Manche-Atlantique

De nationalité indienne, depuis 17 ans dans la marine marchande, mais depuis six ans sur des pétroliers, le commandant du navire, Karun Mathur, a pris ses fonctions sur l'Erika, un mois et demi seulement avant le drame. Il ne connaît pas cette dangereuse région de l'Atlantique-Manche. Il navigue, pour la première fois, sans officier radio, une pratique malheureusement courante dans le monde maritime depuis le début des années 90 du fait de l'objectif de réduction des coûts. Dans ce même but, l'équipage (26 hommes) a été constitué par une société spécialisée. L'instruction reproche au capitaine d'avoir, notamment, caché la réalité et la gravité des avaries après son premier appel de détresse (fissures, fuite de fioul à la mer, cap sur Donges...), et de ne pas avoir mis en oeuvre et respecté les procédures liées à la détresse du navire. En outre, il était au courant du très mauvais état des soutes du pétrolier. Techniquement enfin, selon l'enquête, le choix de la vitesse (trop élevée) et du cap final (Donges) exposaient le navire à une route beaucoup trop dangereuse. Juridiquement, la responsabilité d'un commandant est automatiquement engagée en cas de pollution engendrée par son navire.

Le navire rongé par la rouille

L'Erika est un pétrolier simple coque qui allait avoir 25 ans. Depuis 1975, il a changé huit fois de nom et de propriétaire, a été géré par quatre sociétés successives, changé quatre fois de société de contrôle, et trois fois de pavillon. Au moment du drame, il bat pavillon maltais. Un pavillon dit « de complaisance », car il permet de contourner les lois fiscales, les lois sociales sur les équipages (moins chers) et les lois de sécurité (moins de contrôles). L'état de l'Erika est surtout très préoccupant. Si l'aspect extérieur du pétrolier semble correct, ses soutes présentent d'importantes traces de corrosion, avec une diminution de l'épaisseur des tôles des cloisons atteignant, par endroits, jusqu'à 70 %.

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