XIXe, La moutarde celtique

XIXe, La moutarde celtique

Au début du XIX e siècle, un pharmacien costarmoricain, Efflam Le Maout, met au point une « moutarde celtique », produit à la fois médical et gastronomique qui connut un vif succès, même à l'étranger. Il est aussi le père de deux scientifiques, Emmanuel et Charles, aux théories parfois originales.

Publié le 06/03/2009
Modifié le 13/07/2018
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Né en 1764, Efflam Le Maout devient apothicaire et ouvrira successivement une officine à Guingamp puis à Saint-Brieuc. L'homme a de la ressource et va lancer un produit voué à un vif succès : la moutarde celtique. Utilisée depuis trois mille ans, cette plante aurait d'ailleurs une étymologie celtique, « mwstarrd », se rapportant à quelque chose dégageant une forte odeur. Elle a donné mustard en anglais et moutarde dans notre langue, tandis qu'elle est nommée « sinapis » en italien, d'après une autre étymologie gréco-latine. Utilisée toujours de nos jours pour rehausser les plats (pendant longtemps, la plupart des viandes étaient bouillies pour éviter tout danger bactériel, ce qui les affadissait au goût), la moutarde est censée avoir également des vertus thérapeutiques, notamment pour ce qui touche les sens... « Une femme froide et paresseuse peut devenir, avec quelques cuillerées de moutarde, une épouse idéale », selon Pline l'Ancien. Les philosophes de l'Antiquité vantaient donc la moutarde comme remède aphrodisiaque, de quoi la rendre fort populaire ! La croyance s'est maintenue et, jusqu'au XIX e siècle, elle était vendue par les apothicaires qui, souvent, la préparaient mélangée à du gingembre, autre épice censée réveiller les ardeurs amoureuses. Ajoutons que la moutarde est aussi réputée pour ses propriétés antiscorbutiques. S'il en gardait la recette plus ou moins secrète, Efflam le Maout faisait cultiver sa moutarde à Cesson et sur quelques paroisses du littoral de la baie de Saint-Brieuc, avant de la préparer dans son officine.

Tout feu, Efflam

Pour assurer la publicité de son produit, Efflam Le Maout ne fit pas appel aux grands anciens de l'Antiquité, mais à quelques philosophes locaux de ses amis. Ainsi, parmi ses relations, on compte un joyeux farfelu, Théophile Laennec (le père du célèbre médecin), établi à Saint-Brieuc après avoir quitté sa famille à Quimper. C'est ce dernier qui se chargea de rédiger un livret de poésies, glorifiant le produit. En voici un extrait :« Dans les dîners appétissants Comme elle nous fit boire ! Nos estomacs reconnaissants En gardent la mémoire Illustre Le Maout Ton humeur égrillarde Pour aiguiser nos appétits Vaut presque ta moutarde »Il est vrai qu'Efflam Le Maout ne semblait pas non plus un personnage triste : à sa mort, en 1852, il fit graver sur sa tombe la formule « ci-gît feu Efflam »... Parallèlement au succès de la moutarde, la plaquette de Laennec a été rééditée sept fois, indiquant aussi « Maille est le Corneille de la moutarde, Bordin le Racine, Le Maout le Crébillon ». Le produit ne devait pas être mauvais puisqu'il fut exporté jusqu'en Russie, ce qui permit aux Le Maout d'arborer l'aigle tsariste sur leurs officines et sur leurs pots de moutarde.

Des fils passionnés d'histoire naturelle

Elevés dans les officines paternelles, au milieu des plantes et des remèdes divers, les deux fils d'Efflam Le Maout, François et Charles, nés respectivement à Guingamp en 1800 et 1805, en développèrent un goût pour les sciences naturelles. Le premier devait devenir un botaniste reconnu, auteur d'un « Traité de Botanique » et d'une « Flore élémentaire des jardins et des champs » ; le second, Charles, se distingua aussi par ses travaux scientifiques. Il effectua des études de pharmacie, en Bretagne et à Paris, avant de reprendre l'officine paternelle en 1829 et la lucrative affaire de la moutarde celtique. En 1832, une terrible épidémie de choléra frappe la Bretagne. Au mépris du danger, Charles Le Maout effectue des expériences auprès des malades pendant une dizaine de mois. Armé d'un seul microscope, il détermine que l'air rejeté par les patients est porteur d'éléments infectieux. Ses travaux sont présentés, dans l'hilarité générale, à l'Académie des sciences de Paris. On le moque et il faudra encore plusieurs décennies pour que l'existence des microbes soit mise en lumière. Le jeune pharmacien costamoricain avait pourtant eu là une belle intuition.

Curieuses théories de météorologie

Auteur de plusieurs ouvrages de pharmacie et de médecine, Charles Le Maout se passionna également pour d'autres disciplines. Féru d'histoire naturelle, il était un correspondant du muséum d'histoire naturelle auquel il envoyait des spécimens de poissons rares pêchés dans les baies de Saint-Brieuc et d'Erquy. Charles Le Maout a aussi été un des pionniers de l'utilisation du baromètre enregistreur, avec lequel il effectuait de nombreux relevés. Une discipline qui l'amena à développer de curieuses théories. Ainsi, durant la guerre de Crimée, en 1854, il prétendait pouvoir donner des nouvelles du front grâce à son baromètre à Saint-Brieuc ! Selon lui, en effet, les tirs de canons et l'utilisation de poudre avaient une influence sur l'atmosphère et provoquaient des phénomènes météorologiques à plusieurs milliers de kilomètres de distance... Il en imagina des « canons à pluie » pour lutter contre la sécheresse et une théorie de la pluie artificielle, obtenue à force de tirs d'armes à feu. Mais elle ne rencontra guère d'échos.

Histoire et géologie

Charles Le Maout fut également un passionné d'histoire de son pays. Le 25 juin 1836, il lançait le Publicateur des Côtes-du-Nord, qui fut le premier périodique édité dans le département. La ligne, très mesurée politiquement, était plutôt de tendance libérale. Pendant cinquante ans, il y rédigea des articles d'actualités ou à connotation scientifique et historique. En 1846, Charles Le Maout publia les Annales armoricaines, des recueils de chroniques sur l'histoire de Bretagne. Il se piqua également de géologie. Il effectua ainsi des recherches sur les gisements de minerais du département, notamment les anciennes mines de plomb, de zinc et d'argent dont il estimait que les filons étaient toujours productifs. Il tenta ainsi de faire revivre la mine argentifère de Trémuson, abandonné à la Révolution, mais, faute de capital, il dut renoncer au bout de cinq ans. Décédé à Saint-Brieuc le 27 octobre 1887, à l'âge vénérable de 83 ans, Charles Le Maout, touche-à-tout fort éclectique, est demeuré une des figures intellectuelles de son département au XIX e siècle.

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