XIXe : Les duels se portent bien

XIXe : Les duels se portent bien

Les cours d'assises de Bretagne ont eu à juger diverses affaires concernant des duels au XIX e siècle. L'une des plus marquantes a été celle opposant un médecin et un avocat, membres de la société littéraire de Morlaix.

Publié le 21/05/2007
Modifié le 16/05/2018
A- A+

Pas plus qu'au temps de la haute aristocratie, où elles se réglaient sur le pré, on ne plaisante avec les affaires d'honneur en ce siècle post-révolutionnaire. Et, sur ce point, la bourgeoisie n'est pas moins arrangeante que la noblesse. Y compris dans cette Bretagne bien pensante, où le duel est toujours considéré comme la survivance d'une règle très ancienne assimilée à un jugement de Dieu. Le Ciel décide de quel côté se trouvent le droit et la vérité. Le vaincu est, dès lors, reconnu coupable. On se bat pour les motifs les plus divers : une querelle de jeu, une vanité froissée, un amour trompé, quand ce n'est pas pour un différend politique en ces temps particulièrement troublés. La Restauration et l'Empire, notamment, furent fertiles en événements de ce type. Les discussions entre partisans des Bourbon et de Napoléon tournaient facilement au vinaigre. Pour preuve : sous Louis XVIII, les seuls tribunaux correctionnels du Finistère ont été amenés à statuer sur plus de quatre-vingts infractions à la loi sur les propos séditieux. En fait, c'est surtout dans les ports de guerre et les villes de garnison, où les sensibilités sont à fleur de peau et les armes présentes dans la vie de tous les jours, que les esprits semblent les plus chatouilleux.

La mort d'un novice

La ville de Brest, pour sa part, a été le théâtre, coup sur coup, en 1806, de deux duels à l'arme blanche pour des questions d'amour-propre offensé. Si les conditions en sont mal définies, on sait, en revanche, qu'ils entraînèrent chacun la mort d'un bretteur. Avertie par un passant, le 10 février, la police découvre le cadavre d'un inconnu couché sur le dos au fortin numéro 100 près de Kerabécam. Il porte au côté droit une blessure d'où s'écoule un filet de sang. Près de lui, se trouvent une sorte de veste appelée carmagnole ainsi qu'une capote. La victime est rapidement identifiée. Il s'agit de Félix Duplessis-Châtillon, novice sur la frégate L'Indienne où il exerce les fonctions d'aspirant deuxième classe. Que s'est-il passé ? À l'évidence, il s'est battu en duel mais son adversaire a pris la fuite. À l'hôpital de la Marine, dit « le Séminaire », où il est transporté, le chirurgien attribue la mort à un coup de sabre qui a perforé la veine cave et la veine mammaire. Deux lésions qui ne lui laissaient aucune chance de s'en sortir. Moins d'une semaine plus tard, un Brestois fait une découverte quasiment analogue près du nouveau cimetière de Lambézellec au lieu-dit Streat-ar-Vordel. Le corps, cette fois, est adossé à un mur. Du sang jaillit également de sa poitrine.

La partie de cartes vire au drame

Vérifications faites, l'homme d'aspect jeune appartient au 15 e régiment de ligne et s'appelle Joseph Arnaud, conscrit de l'an VII originaire de l'Isère. L'autopsie révèle que le ventricule droit a été traversé d'un coup de sabre. Quant aux circonstances, elles demeureront inconnues comme dans le cas précédent. Néanmoins, le duel, là non plus, ne soulève aucun doute. Autre affaire qui va jeter l'effroi à Brest et susciter une plus grande émotion, celle concernant deux jeunes gens du pays qui, jusqu'alors, se disaient amis. L'un est Adolphe Wolf (25 ans), écrivain de Marine, et l'autre Alfred Marzion (24 ans) sans profession. Début janvier 1851, ils jouent aux cartes, leur passion favorite, lorsque la partie tourne au désavantage de Wolf qui perd 400 francs. Il en conçoit un tel dépit qu'il traite son camarade de « carottier », de « canaille » et le provoque en duel, menaçant de le gifler devant tout le monde. L'autre accepte le combat de sorte que les belligérants se retrouvent le 18 janvier l'épée à la main en présence de leurs témoins. Nullement familier des armes, Wolf fait des mouvements désordonnés tandis que l'autre reste sur la défensive.

Manque de sang-froid

Survient donc ce qui devait arriver : le sabre de Wolf s'abat soudain sur le bras droit de son adversaire. « Touché ! », crie alors celui-ci. En vain. L'autre poursuit le combat, brisant cette fois le poignet gauche de Marzion qui doit être transporté chez lui, rue du Gouédic. Accusé d'avoir contrevenu aux règles fixées, le virtuel vainqueur prétend, devant la cour d'assises, que, dans le feu de l'action, il a perdu son sang-froid. Mais tel n'est pas l'avis du procureur qui, lui, voit dans l'écrivain de Marine « un de ces jeunes gens qui aiment le tapage pour faire parler d'eux ». Le coupable n'en sera pas moins innocenté. Dix-huit ans après, un duel d'une tout autre dimension défraie la chronique morlaisienne. Dans la soirée du 3 novembre 1869, le médecin Léon de la Carduchère se rend à la tabagie, place des Viarmes, où se retrouvent habituellement les membres de la Société littéraire de Morlaix. Avec son ami Charles Bozec, avocat, la conversation s'oriente d'emblée sur le choix d'un candidat pour l'élection d'un officier à la Garde nationale qui doit avoir lieu le lendemain.

Réparation par les armes

Les avis divergent au point que s'engage une vive controverse. L'avocat plaide en termes blessants à l'encontre du candidat soutenu par le médecin. Irrité par les propos, ce dernier s'étonne d'un tel acharnement sur la personne en question alors que Bozec fréquente régulièrement sa table. À quoi l'homme de loi répond qu'il « serait honteux pour la Garde nationale d'avoir un tel officier ». C'est la goutte qui fait déborder le vase. « Vous êtes un jean-foutre, une sacrée canaille », riposte le médecin. Du coup, Bozec exige une réparation de l'insulte par les armes. À moins que... À moins que des excuses ne lui soient présentées publiquement. Ce que refuse l'adversaire. Des excuses soit, mais pas devant témoins. Restent donc à régler les conditions du combat. Il aura lieu au pistolet sur la commune de Plourin. Au signal, les duellistes tirent ensemble. Bozec s'affaisse, la jambe gauche brisée. Il faudra l'amputer. À la barre de la cour d'assises, de la Carduchère déclare qu'il regrette ce qui est arrivé, ajoutant toutefois que « ce duel devait avoir lieu ». Sinon, il se serait déshonoré en faisant des excuses publiques. Compréhensif, le jury prononce l'acquittement.

Rechercher un hébergement à proximité
Contenus sponsorisés