Qu'est-ce qu'une troménie ?

Qu'est-ce qu'une troménie ?

Les troménies sont des déambulations sacrées sur les pas du saint honoré. Toutes les troménies ont en commun plusieurs traits, dont la 'circumambulation'.

Publié le 12/05/2009
Modifié le 03/05/2018
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Troménies
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«Il existe dans les vies latines médiévales de certains saints bretons ou dans les adaptations françaises qu'en firent les hagiographes des XVIIe et XVIIIe siècles (et, à la même époque, dans certains actes notariés ou documents divers), parfois seulement dans les traditions populaires ou les légendes locales, diverses indications qui paraissent témoigner de la présence en certains endroits d'un même rituel de définition d'un espace sacré autour de l'ermitage d'un saint.

Une histoire de territoires...

Ces indications revêtent différentes formes.

Parfois, la légende évoque la façon dont fut délimité le territoire concédé au saint : son étendue dépend souvent d'une prouesse que l'homme de Dieu réalise, affirmant ainsi, dès son installation dans le pays, la supériorité des puissances dont il se réclame.

D'autres fois, il est seulement question, comme à Locronan, d'un tour que le saint faisait chaque jour par pénitence (saint Goulven) ou une fois par an à jour fixe (saint Briac) ou qu'il fit juste avant de mourir (saint Hervé) tout autour de son domaine.

Parfois enfin, la vie mentionne expressément le parcours processionnel que l'on fait, depuis, chaque année, en l'honneur du saint, en promenant solennellement ses reliques autour de son enclos sacré (saint Gouesnou).

De multiples sources

Largillière, dans son étude souvent citée sur «les minihys», a relevé la plupart de ces mentions : vies de saint Briac, de saint Sané, de saint Gouesnou, de saint Goulven, de saint Suliac, de saint Hervé : mention, au XVIIIe siècle, des «tours et processions de saint Sezni» ; légendes orales de saint Théleau et de saint Edern... On pourrait y ajouter les Vies légendaires de saint Hernin et de saint Fiacre, encore que ce dernier saint, déjà mentionné à plusieurs reprises, ne soit pas à proprement parler un saint breton et que le cadre évoqué se situe loin de la Bretagne : ces deux Vies racontent en effet le miracle du talus qui se dresse ou du fossé qui se creuse au fur et à mesure que le saint avance, traînant derrière lui un bâton pour délimiter le territoire qu'on lui donne.

Sur les pas de saint Goulven

La vie de saint Goulven, telle que la raconte Albert Le Grand, offre à ce sujet une particularité qui mérite attention. Elle semble en effet distinguer, au même lieu, deux types de territoire sacré : l'un, plus petit, entourant l'ermitage du saint à Goulven et dont il est dit qu'il faisait chaque jour le tour; l'autre, plus étendu, autour du monastère qu'il avait fondé près de son ermitage. C'est ce dernier qui lui avait été donné par le comte Even après que le saint l'eut circonscrit en une journée et qu'un fossé miraculeux, naissant sous ses pas, en eut fixé pour toujours les limites.

Seule une demi-douzaine de ces territoires sacrés évoqués dans les vies et les légendes des saints bretons, d'après les témoignages que nous possédons, sont encore délimités rituellement par une procession solennelle du type de celle de Locronan. Mais il est hautement probable que tous l'étaient à l'origine, même là où aujourd'hui il ne subsiste plus le moindre souvenir ou la moindre trace tangible de l'existence d'une telle pratique.

Les reliques et les bannières

Le chanoine Peyron, dans l'article qu'il a consacré dans le Bulletin Archéologique de l'Association Bretonne aux «Pèlerinages, troménies et processions votives au diocèse de Quimper», a recensé pour la Cornouaille et le Léon les quelques exemples actuels ou attestés anciennement de ces troménies : tro sant Sane (tour de saint Sané) à Plouzané le dimanche de la Pentecôte, tro ar relegou (tour des reliques) à Landeleau le même jour, procession de saint Gouesnou à Gouesnou le jour de l'Ascension, procession de saint Conogan près de Landerneau le troisième dimanche de mai, « troménie » de Locmaria à Quimper le dimanche après la fête du Saint-Sacrement autour du mont Frugy; auxquelles on peut ajouter, d'après Largillière, la leo dro (lieu de tour) de Bourbriac, le jour de l'Ascension, et le tro sans Sezni de Guissény.

Les chanoines Pondaven et Abgrall signalent en outre, en 1924, dans leur notice sur Locquénolé du Bulletin Diocésain d'Histoire et d'Archéologie que, jusque dans les toutes premières années du XIXe siècle, dans les trois paroisses voisines de Locquénolé, Henvic et Taulé, on promenait solennellement les reliques de saint Guénolé tout autour de chaque paroisse alternativement : à Locquénolé le jour de l'Ascension, à Henvic le dimanche suivant et à Taulé le dimanche de la Trinité et le jour de la saint Pierre.

En haut d'une colline

Toutes ces troménies ont en commun un certain nombre de traits qu'il est utile de relever. Ils concernent à la fois le site, la date de la célébration et le rite accompli à cette occasion. En général, les troménies dont nous connaissons le parcours comportent l'ascension d'une colline (Locronan, Locmaria, Landeleau, Plouzané). A Locronan comme à Plouzané, l'ermitage du saint point de départ et d'arrivée de la troménie était situé à l'orée d'une forêt dont le nom -Nemet à Locronan, Lucus à Plouzané d'après Albert Le Grand - semble indiquer le caractère sacré antique (le lucus latin est l'équivalent sémantiquement et éthymologiquement du nemeton celtique : une clairière sacrée dans une forêt et, par extension, le bois sacré lui-même).

Du 1er mai au 21 juillet

Quelle que soit la date où l'on célèbre la fête du saint, la troménie se fait toujours dans une période qui va du 1er mai au 21 juillet.

On remarque donc que la plupart de ces troménies sont liées à une fête mobile, l'Ascension, la Pentecôte, en relation avec la date de Pâques (qui varie, suivant les années, de plus d'un mois) et sont indépendantes des fêtes fixes des saints.

A Locronan, au contraire, comme d'ailleurs à Landerneau poursaint Conogan, la célébration a lieu à une date beaucoup plus fixe qui, bien que ne devant apparemment rien non plus à la vie du saint, ne varie jamais de plus d'une semaine. Cela semble indiquer que le choix de cette date répond à des motivations d'un autre ordre, sans doute liées au cycle saisonnier.

Dans le sens du soleil

Dans toutes ces troménies, la procession portant les reliques du saint sort de l'église et part vers la droite, marchant dans le sens du soleil comme dans les grands rituels antiques de circumambulation : lustrations bibliques, romaines, pradakshina hindoues ; comme aussi dans les parcours rituels de l'Irlande druidique.

Les pèlerins font souvent la route pieds nus (Locronan, Gouesnou, Landeleau) et sans parler (Locronan, Plouzané), en s'arrêtant à un certain nombre de stations (Locronan, Gouesnou, Landeleau, Plouzané,Goulven) et en faisant le tour de certaines pierres ou monuments comme à Locronan et Gouesnou où, par ailleurs, une grosse pierre située sur le passage de la troménie est appelée «chaise de saint Ronan», «chaise de saint Gouesnou».

A Locronan et à Landeleau, des jeunes gens munis de baguettes blanches entouraient le reliquaire et empêchaient les pèlerins de le toucher ou de passer par-dessous.

Pas un phénomène isolé

On voit donc que la troménie de Locronan n'est pas un phénomène isolé. On connaît en diverses paroisses de Cornouaille, Léon et Trégor des circuits processionnels du même type associés à un saint local ou à une fondation monastique ancienne. Si l'on suit l'argumentation du chanoine Peyron et de Largillière, on peut penser que ces processions au parcours soigneusement défini avaient pour fonction de consacrer de façon solennelle les limites de l'espace sacral qui constituait l'immunité du saint et, à ce titre, bénéficiait du droit d'asile et de l'exemption de certaines charges. «C'est -dit le chanoine Peyron- pour fixer à jamais, mieux que sur parchemin authentique, les limites des terres franches appartenant au saint ou à l'Eglise que furent instituées ces processions périodiques dans lesquelles on parcourait le plus scrupuleusement possible les limites exactes de l'asile ou du Minihy. »

Dans le cas exemplaire de la troménie de Locronan qui, à elle seule réunit tous les caractères des autres processions comme si elle en était le modèle parfait, on peut se demander si une telle explication suffit à rendre compte de la richesse des rites et des légendes.Il s'agit donc bien d'un domaine monastique constitué postérieurement à la mort de Ronan. L'explication donnée par le chanoine Peyron qui voit dans les troménies bretonnes l'affirmation par un acte collectif, solennel et public, des limites de la propriété ecclésiastique, convient donc bien au grand parcours mais ne vaut que pour lui.

La petite troménie, elle, représentait de son côté, la plus ancienne déambulation sacrée, l'ascension de la montagne, et l'on a de bonnes raisons de la considérer comme antérieure à saint Ronan. Le trait le plus remarquable de cette troménie de saint Ronan n'est cependant pas tant son antiquité, ni la permanence de sa célébration, que le fait qu'elle a su garder intact et sans compromission jusqu'à aujourd'hui son caractère sacré.»

La troménie de Landeleau en 1905

Le chanoine Peyron décrit ici la troménie de 1905.Récit surprenant de détails et de précisions.

Découvrez la procession de Landeleau glorifiant saint Théleau.

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