1808 : La "soeur" de Chateaubriand

Soumis par Bretagne.com le mer, 02/21/2007 - 09:59

Brestoise d'origine, elle a côtoyé à Paris tout le gratin politique et littéraire au début du XIX e siècle ; mais c'est avec le Malouin René de Chateaubriand que l'écrivain, Claire de Kersaint, duchesse de Duras, a entretenu les plus étroites relations.

On ne badine pas avec les valeurs traditionnelles chez les ascendants de cette romancière, dignes figures de la noblesse bretonne éclairée du XVIII e siècle fidèle au trône jusqu'à la mort. Natif d'un petit hameau situé entre Cléder et Saint-Pol-de-Léon, le grand-père de Claire de Kersaint, Guy-François de Coëtnempren, a perdu la vie en 1759 lors de la bataille navale dite des Cardinaux, contre la flotte anglaise dans le golfe du Morbihan. En 1793, l'aîné de ses sept enfants, Armand-Guy, élu député dans le camp des Girondins sous l' Ancien régime, périt, lui, sur l'échafaud pour avoir voté contre l'exécution capitale de Louis XVI. Ironie de l'histoire : dans un souci de justice et d'apaisement, il venait tout juste de proposer à la tribune de la Convention nationale la création d'un organisme de défense générale qui, hélas, devait devenir l'instrument principal de la Terreur sous le nom de Comité de salut public. Capitaine de vaisseau, marié à Claire-Louise d'Alesso, cousine germaine du gouverneur des îles du Vent avec lequel il s'est lié d'amitié, le comte de Kersaint court précisément sur les mers, lorsque naît le 20 février 1777 à Brest sa fille Claire, ondoyée le même jour, comme il est d'usage en pareil cas, en attendant son retour pour être baptisée.

L'émigration

Livrée à elle-même, face au désaccord conjugal de ses parents dû à l'esprit d'indépendance du père et à l'introversion de la mère inhérente à sasanté fragile, la petite Claire ne connaît pour ainsi dire pas d'enfance. Coeur sensible, elle est privée d'affection à l'âge où les autres enfants en sont entourés. En fait ses parents vivent séparément et pas seulement lorsque l'homme navigue à la recherche de vaisseaux ennemis. Célèbre pour ses exploits guerriers sur les océans, d'autres obligations le retiennent en dehors du logis familial. Sa promotion au grade supérieur est imminente et il est même envisagé de lui confier le ministère de la Marine. Toutes choses qui ne vont pas forcément de pair avec la vie familiale. Au point que la séparation est officiellement prononcée en 1792. Malade et définitivement esseulée, la comtesse se voit alors contrainte de placer sa fille dans un couvent, en l'occurrence l'abbaye de Panthémont à Paris qui accueille les jeunes filles de la haute société. Claire n'y restera toutefois que deux ans. Car voilà que les événements se précipitent en France, l'obligeant à quitter le pays avec sa mère. Comble de malheur : sur le point de s'embarquer pour la Martinique, elle apprend, par un crieur public, l'exécution de son père. Au décès de sa mère, peu de temps après, en possession d'une fortune considérable léguée par un parent établi aux Colonies, Claire de Kersaint choisit dès lors de gagner l'Angleterre où sont volontairement réfugiés nombre de ses pairs soucieux d'éviter la répression s'exerçant contre la noblesse de l'autre côté de la Manche.

Le bonheur, enfin !

Dans un quartier chic de Londres elle rencontre notamment celui qui deviendra, en 1795, son époux, le duc de Duras. De cette union naîtront deux filles, Félicie et Clara. Enfin la jeune femme découvre le bonheur. Un bien-être qui va d'ailleurs se prolonger avec son retour en France sous le Premier Empire. Après un bref séjour à Paris, la famille s'installe au château d' Ussé au bord de l'Indre en Touraine. Claire de Kersaint s'adonne alors à l'écriture, une passion héritée de son père. Sous sa plume naissent ses deux premiers romans, « Ourika » et « Edouard » qui reçoivent un accueil mitigé. Disciple de Chateaubriand, elle n'aura toutefois de cesse que de faire sa connaissance. Par l'intermédiaire d'une amie, le tête à tête initial aura lieu en 1808 à Méréville près de Paris. Une première fois il avait décliné l'invitation, craignant de croiser trop de monde.

Amis mais pas amants

De fait, la romancière bretonne reçoit beaucoup tant en son château d'Ussé qu'à Paris, rue de Varennes, où elle tientt salon fréquemment. Toutes les notabilités politiques, littéraires et aristocratiques de l'époque s'y pressent. De tout ce beau monde, c'est toutefois le vicomte René de Chateaubriand que la duchesse de Duras préfère. Elle le considère comme son frère et lui comme sa soeur. L'auteur des Mémoires d'Outre-tombe évoquera du reste avec émotion son souvenir un quart de siècle plus tard. « Une forte et vive amitié emplissait alors mon coeur », écrit-il. Madame de Staël qui recevait l'un et l'autre ensemble dans sa loge de théâtre en témoignera également. Claire de Kersaint ne se contentait pas de s'enfermer parfois avec Chateaubriand. Elle se promenait aussi avec lui sur les boulevards, ce qui faisait jaser le tout-Paris. Quelle était la nature exacte de leurs relations ? Etait-il son amant ? Elle s'en défendra. « Une amitié comme la nôtre, affirmera-t-elle, présente les inconvénients de l'amour mais n'en a pas les profits ».

La mort de la « chère soeur »

Bien en Cour à Versailles, Claire de Kersaint contribuera d'autre part à l'évolution de la carrière politique de son « cher frère ». Celui-ci le reconnaîtra d'ailleurs lui-même dans ses Mémoires où il avoue qu'elle lui a rendu « d'incomparables services ». Mais voilà que la maladie qui avait emporté prématurément la mère, s'abat à présent sur la fille. Souffrant de violentes douleurs, elle se rend en 1827 à Nice pour y passer l'hiver au soleil. Hélas il pleut à verse et, faute de pouvoir s'exposer aux rayons salutaires espérés, elle reste allongée sur un canapé, dans l'impossibilité d'ouvrir les yeux. Le 1 er janvier suivant une lettre lui parvient signée de Chateaubriand qui lui souhaite une bonne année. Claire s'en émeut et des larmes coulent sur ses joues amaigries. Reverra-t-elle un jour le frère bien-aimé ? De son côté l'écrivain malouin se lamente : « Madame de Duras se meurt ! ». De fait la romancière bretonne rend le lendemain son dernier soupir. Chateaubriand promet alors qu'il gardera à jamais son souvenir. Il lui fera en tout cas la part belle dans ses « Mémoires ».

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