Les villages de l'An mil

Soumis par Bretagne.com le lun, 06/18/2007 - 15:42

Comment vivaient les Bretons il y a un millénaire ? L'archéologie nous livre peu à peu des détails sur la vie de nos ancêtres, à une période charnière qui prépare les grands bouleversements sociaux et économiques du bas Moyen Âge.

Plus qu'une période de grande frayeur - la majorité de la population n'ayant alors guère de notions des dates -, l'an Mil se caractérise par le début d'un formidable essor démographique et économique qui va toucher toute l'Europe occidentale. Ses raisons demeurent mal élucidées, mais il coïncide avec la fin des grandes invasions - scandinaves pour la dernière vague - et par un accroissement de la population, ce qui entraîne la multiplication des défrichements de terres. L'outillage semble aussi progresser. Enfin, une amélioration climatique a également pu stimuler la croissance européenne.

Une principauté fragile

La Bretagne n'échappe pas à ce phénomène. Le pays est pourtant très fragilisé depuis les invasions vikings qui ont profondément déstabilisé le royaume breton au IX e siècle. Vers 940, Alain Barbetorte a chassé les Scandinaves de Bretagne et s'est fait reconnaître comme duc. Mais il n'a pas réussi à fonder une dynastie suffisamment forte pour imposer une autorité suffisante sur la péninsule. Il meurt d'ailleurs prématurément en 952. Les puissants comtes de Rennes vont ensuite se succéder à la tête du duché, mais ils ne parviennent pas non plus à s'imposer durablement. La situation est d'autant plus instable que la Bretagne est désormais bornée par deux puissantes principautés : la Normandie et le comté d'Anjou, qui ont de fortes ambitions dans la péninsule. Cette absence d'autorité ducale forte n'entrave cependant pas le développement du duché. Les archéologues ont ainsi découvert un certain nombre de villages créés à la fin du X e et au début du XI e siècles, témoins de la vie des campagnes bretonnes d'alors. L'archéologie se révèle précieuse dans ce cas, les sources écrites étant fort rares à l'époque. Quelques textes nous renseignent cependant sur cette société du XI e siècle. On estime ainsi que la majorité des paysans est libre, même si le servage, forme médiévale de l'esclavage, n'a pas totalement disparu, dans le Léon notamment. Cependant, les ruraux sont, en général, liés à de puissantes seigneuries terriennes ou aux établissements monastiques qui se multiplient.

Le village de Lan-Gouh en Melrand

E quoi ressemble alors le paysage breton ? Pour plusieurs historiens, il semblerait que le bocage soit déjà fort répandu. Les forêts sont en recul,empiétées par des défrichements de plus en plus fréquents. Un certain nombre de villages apparaissent. On y vit chichement, en cultivant les céréales alors les plus courantes : froment, seigle, avoine... Le bétail fournit aussi une partie de l'alimentation. Le village de Lan-Gouh en Melrand, dans le centre du Morbihan, a ainsi été fondé quelques décennies avant l'an Mil. Il a été fouillé à la fin des années 1970 par Patrick André. Les fondations de neuf bâtiments ont été mises au jour et une trentaine de personnes devaient y vivre. Quatre des habitations comportent des traces de foyers, il s'agit de « maisons mixtes », divisées en deux parties : la première était réservée à la vie des hommes, comme l'atteste la présence de cendres et de tessons ; la seconde abritait le bétail. Cette coexistence des hommes et des animaux a longtemps perduré en Bretagne, parfois jusqu'à la première moitié du XX e siècle. En un sens, les longues chaumières de Melrand sont les ancêtres des longères contemporaines.

Archéologie expérimentale

Grâce à l'effort des collectivités locales morbihannaises, il est possible de se faire une idée précise de la vie des paysans de l'an Mil, en visitant le site de Lan-Gouh à Melrand. En effet, à proximité des fouilles, désormais mises en valeur, un certain nombre de bâtiments ont été reconstitués. « E partir de l'étude des fondations de pierre retrouvées, nous avons rebâti et reconstitué toutes les parties périssables : murs de bois et charpentes, toits de chaume avec une pente suffisante pour permettre l'écoulement des eaux... », expliique Maud Le Clainch, la responsable du site. L'expérience a permis de valider certaines hypothèses. « On fait vivre ces habitats avec du feu et des animaux. On voit ainsi comment la fumée circule, et les parties où elle stagne. On en déduit les endroits où les gens pouvaient vivre. On constate également les effets du vieillissement sur les bâtiments. Au vu de nos propres problèmes, on s'est aperçu qu'ils devaient passer beaucoup de temps à les restaurer et les rafistoler. »

Expériences de métallurgie

Les animateurs de Melrand ne se sont pas bornés à reconstituer des habitations, divers programmes ont aussi été lancés, dont l'un concernant la métallurgie. « Nous voulions déterminer comment les habitants d'un tel site pouvaient avoir accès au métal, souligne Maud le Clainch. On est parti de l'hypothèse qu'ils en produisaient ici. » Un forgeron a été sollicité pour prodiguer ses conseils, notamment dans la reconstitution d'un haut-fourneau comme il pouvait en exister à l'époque, c'est-à-dire une sorte de grosse cheminée de terre, où étaient entassés du minerai et du combustible. Un lingot de fer a ainsi été produit et transformé en serpe. Quant au fourneau, les archéologues l'ont laissé se détériorer pour voir de quelle façon il disparaissait. L'expérience ayant été concluante, un deuxième haut-fourneau a été construit et fait désormais partie des animations proposées sur le site.

Conserver les aliments au Moyen Ege

E proximité des vestiges et des reconstitutions, la visite d'un jardin médiéval est proposée. Plusieurs animaux (des vaches, des moutons, des chèvres, des poules) contribuent également à l'animation du site. L'autre grand programme d'étude à Melrand concerne d'ailleurs l'alimentation et les problèmes de conservation de la nourriture « C'est une question de survie à l'époque, mais comment s'y prenaient-ils, pendant combien de temps parvenaient-ils à garder les aliments ? » Pour répondre à ces questions, les animateurs de Melrand ont employé des viandes et des légumes bio, afin d'effectuer des salaisons et des fumaisons. « La première fois, nous avons constaté une importante disparition des viandes. L'hiver qui a suivi, nous avons eu une invasion de rats et souris, puis, au printemps, une surmortalité chez les caprins. Il s'agissait d'une dégradation générale de l'état sanitaire du site due aux rongeurs. On s'est demandé comment ils s'y prenaient pour régler la question à l'époque. Nous avons essayé avec des plantes - notamment des gâteaux à l'aconit très efficaces -, puis nous avons introduit deux chats. Cela a été parfaitement efficace contre les rongeurs. Au Moyen Ege, les chats jouaient un rôle très important dans la vie courante. » Melrand est un des rares sites proposant des animations en archéologie expérimentale, une manière pourtant fort vivante de découvrir comment vivaient nos ancêtres. E l'instar de nombre de villages de l'an Mil fouillés en Bretagne (Penn-er-Malo dans l'embouchure de la Laïta ou Karahes Vihan en Brennilis), il a été abandonné au bout de quelques siècles, probablement vers le début du XIII e siècle. Un abandon qui peut s'expliquer, à Melrand, par un changement de statut des terres ou par la raréfaction de certaines ressources, le bois notamment. Les « villages abandonnés » médiévaux gardent encore quelques mystères.

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