À télécharger gratuitement : Quand la nature était au menu

Soumis par Daniel Giraudon le jeu, 04/30/2020 - 10:34

Pendant le confinement, Bretagne Magazine vous propose de (re)découvrir des articles publiés ces dernières années. Voici un texte de l'ethnologue Daniel Giraudon, spécialiste des traditions populaires, qui nous raconte ce temps, pas si lointain, où la nature était un formidable garde-manger, quand arrivait les noisettes, les mûres ou le chèvrefeuille.

 
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En Bretagne, autrefois, la nature constituait pour les enfants des campagnes un immense terrain de jeux, où ils avaient le champ libre. On les voyait courir sur les landes et les prairies, enjamber clôtures et barrières, cavaler à perdre haleine le long des chemins buissonniers, grimper aux arbres à s’en donner le vertige, sauter par-dessus les ruisseaux, chercher des nids, attraper des grenouilles, faire subir toutes sortes de tortures aux bestioles innocentes… Leurs jouets ? Les matériaux étaient là, à portée de main, du bois de toute nature, les végétaux les plus variés, tout leur était bon et de petits chefs-d’œuvre d’art populaire naissaient de leur imagination à la pointe d’un couteau.

  • Des herbes succulentes

Pour ces gamins, la nature était aussi une véritable corbeille de friandises sauvages, un garde-manger où ils allaient piocher sans retenue. C’est au printemps que commençait la mise en bouche avec les fleurs. Ainsi, goûtaient-ils au délicat parfum des pétales de primevères, les osties du printemps, comme on les nommait en Pays gallo et bokejoù an hañv, pour les bretonnants, autrement dit : fleurs de l’été, souvenir d’un temps ancien où, en Bretagne, la tradition divisait l’année en deux saisons. Mais elles étaient vite surpassées par la floraison odoriférante du chèvrefeuille. On appelait sa corolle, des seins de coucou, bronnoù koukoug parce qu’elle contenait une sorte de jus sucré, que les Anglais nomment justement honey-suckle, suçon de miel. La référence au coucou s’explique par la période à laquelle cette plante renaît, c’est-à-dire au moment où l’oiseau se fait messager du réveil de la nature.

Papiers sculptés de Bernard Jeunet "Fleur de carotte"

 

À l’arrivée des beaux jours, les gamins mâchonnaient aussi des herbes au goût plus ou moins acide. Tout d’abord, l’oseille sauvage, trinchin-gad, oseille de lièvre, et sa petite sœur, trinchon-logod, oseille de souris, connue aussi en gallo sous les noms de trinchon ou vinette. La surelle oxalis ou pain de coucou, bara-koukoug en breton, dont la feuille est semblable à du trèfle, était également au menu. Au pied des talus, ils trouvaient aussi une plante ombellifère au feuillage cousin de celui des carottes. Son tubercule est comestible. Il est en forme de noisette, d’où son nom, noix ou noisette de terre.

Ce n’est pas le seul. L’imagination populaire a su lui en attribuer bien d’autres qui montrent que ce fruit était bien apprécié. En effet, en breton, c’est kraoù-douar, avaloù-kerez, kerez gouez, keler, ou encore kraoñ kolorig ; en gallo, on parle de jarnotes, jeanne-rottes, abernotes. Avant l’arrivée très attendue des fruits sur les ronces, les petits impatients trouvaient à leur goût les jeunes et tendres pousses vertes de ces plantes épineuses. Il s’agit des gils d’éronces, selon les Gallos. C’est ce que l’écrivain bretonnant Yeun ar Gow appelait en Cornouaille, kig treut. Viande maigre. Maigre à coup sûr, comme la pitance dans beaucoup de foyers à cette époque où la pâture n’était pas grasse : ne oa ket druz ar peuriñ. Appelées mouar en breton, les mûres se nomment moules en gallo, à ne pas confondre avec les fruits de mer qui poussent sur les rochers de nos côtes. Quand les belles baies sauvages viraient du rouge au noir, les enfants s’en faisaient des ventrées.

Pour imiter les adultes, ils savaient aussi fabriquer du vin de mûres, en les écrasant dans une bouteille avec une badine. La mixture, mélangée à de l’eau dans une bouteille et laissée à macérer un peu, constituait leur apéritif. La période de cueillette des mûres était limitée dans le temps car fin septembre, beaucoup étaient véreuses. Comme on le sait, les enfants aiment transgresser les interdits. Alors, à l’époque, les parents  leurs racontaient toutes sortes d’histoires fabuleuses susceptibles de les dissuader d’en manger.

  • La peur des parasites

Ils accusaient notamment l’oiseau de la Saint-Michel de les avoir recouvertes de sa fiente : ar vouarenn zu ne vez mui mat / Pen deus kac’het labous Sant-Mikael var ar prad. Les mûres ne sont plus bonnes / Quand l’oiseau de la Saint-Michel a déféqué sur la prairie. En principe, c’était suffisant pour les en écarter. Le renard aussi était mis en scène. On racontait qu’il les arrosait en se soulageant la vessie, du moins celles qui étaient à hauteur respectable.

Vexé de ne pouvoir atteindre les plus belles, les plus hautes, Alanig se vengeait sans doute sur les plus basses et prétendait faussement de ne pas en vouloir plus : Al louarn a lâr foei d’ar mouar pa ne vez ket evit tapout ‘nezhe. Le renard fait fi des mûres quand il ne peut les attraper. On reconnaît ici l’épisode en breton du renard et des raisins de la fable.

Autre moyen de dissuasion : c’est encore pour éviter aux enfants de manger des mûres véreuses que les parents assuraient que celui qui le ferait verrait sa tête couverte de poux et de croûtes de lait, ar vrud oa devoa ar mouar da lakaat laou da zont e pennoù ar vugale hag ivez da zigas tokenn dezho. De tout temps, le pou a été un parasite redouté des familles. D’ailleurs, ne disait-on pas encore pour écarter les enfants des baies rouges de l’aubépine : An hini a zebr hogroù / A nevo laou. Celui qui mange des cenelles / Aura des poux. Du côté de l’Hôpital-Camfrout, on allait jusqu’à donner à ces fruits le nom de per laou, poires à poux et l’on menaçait encore les enfants : Ma trebez pér-laou e ranko be(za) touzet dit da benn. Si tu manges des cenelles (poires à poux), on devra te raser les cheveux.

  • Noisettes et châtaignes

Les fruits d’autres arbres ou arbrisseaux étaient bien sûr aussi convoités. Dans le calendrier des fruitiers sauvages, les noisettes précèdent les châtaignes : À la mi-août / Les nouzilles ont le cul roux. Toutefois, il fallait attendre au moins la fin du mois pour aller en chercher, Sul an Traoñ, Sul ar c’hraoñ, Dimanche du bas, (3e dimanche d’août), dimanche des noisettes, disait-on. Mais, on connaît l’impatience des enfants qui les voient déjà bien formées dans le feuillage. Ils ont hâte de les cueillir directement sur les branches plutôt que d’attendre le moment de les ramasser sur le sol. D’autant plus que, par terre, elles sont souvent déjà sous l’empire des vers.

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Le ramassage des châtaignes, quant à lui, s’effectuait pour les provisions de l’hiver. Les enfants étaient ravis de contribuer ainsi à la nourriture de la maisonnée. Avant l’arrivée de l’électricité, lors des longues soirées d’hiver à la campagne, familles et voisins se rassemblaient chez l’un ou l’autre autour de la cheminée. Chacun disait son mot en mangeant des châtaignes, grillées dans l’harrassouère, la poêle à trous, et mises à suer avec du sel dans une jatte en terre recouverte d’un torchon. Accompagnées d’une bolée de cidre doux ou d’un bol de lait ribot, elles remplissaient le ventre. Les pauvres en firent longtemps leur aliment de base. Au moment où l’on cherche à se rapprocher de la nature, ce garde-manger rustique a encore de quoi nourrir notre imagination.

L'article a été publié dans le Bretagne Magazine n°98 (novembre-décembre 2017)

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