Entre la forêt et le lac, Huelgoat

Entre la forêt et le lac, Huelgoat

Huelgoat et sa forêt ensorcelante ont toujours été un aimant en centre Finistère. Aujourd'hui, portée par le tourisme, la culture et l’intérêt pour la nature, la ville retrouve de l’élan.

Publié le 16/10/2019
Modifié le 14/10/2020
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Entre la forêt et le lac, Huelgoat Bretagne Magazine
© René Tanguy | Les chaos magnifiques ont été le tombeau de pierre et de verdure choisi par l'écrivain Victor Segalen

Sans doute avais-je des prédispositions pour écrire sur Huelgoat : une enfance, une adolescence et une vie de jeune adulte en centre Bretagne, en lisière des chemins creux boisés d’essences locales, loin des zones commerciales avec giratoires et de l’afflux des touristes qui, même rares, avaient hérité de sobriquets plus ou moins heureux. Mes grands-parents, des agriculteurs nés à la fin des années 1930, pestaient au passage des voitures immatriculées dans une autre région que la nôtre : « Les doryphores sont de retour… », annonçaient-ils solennellement. Ils n’appréciaient pas « les grandes manières » de ceux qui, de retour au pays après l’avoir quitté pour voir ailleurs si l’herbe était plus verte, paradaient dans le bourg ; ni celles des touristes qui toujours se plaignaient du temps. Ils ne prenaient pas de vacances, mais s’accordaient, parfois, des escapades. Ils avaient en tête le calendrier des foires aux bestiaux organisées dans un rayon de soixante-quinze kilomètres. Au-delà, l’expédition devenait trop chronophage.

Le plan de Huelgoat le plus photographié de la Bretagne
On ne quitte pas le village sans un souvenir devant l'un des plans les plus photographiés de Bretagne. © René Tanguy

Un parfum d’enfance 

Situé à une cinquantaine de kilomètres de la ferme, Huelgoat n’avait pas beaucoup d’intérêt à leurs yeux, sinon celui d’être sur la route de la foire aux chevaux de Commana (arrêtée en 1968 et relancée en 1989) et d’héberger l’hôtel du Lac, dont la réputation était arrivée jusqu'à leurs oreilles. Peut-être en avaient-ils eu écho dans les pages du Télégramme ? Où l’avaient-ils entendu dans la bouche d’un voisin, de retour d’un « gueuleton de noce » dans ledit établissement ?

C’était donc devenu une tradition : au début des années 1990, sur la route de Commana, avant de percer les paysages lunaires des monts d’Arrée, si différents des familières montagnes Noires (région de Gourin), ils faisaient étape à Huelgoat pour casser la croûte le midi, face au lac artificiel, creusé par les mineurs allemands dans la seconde partie du XVIe siècle, pour les besoins de la mine de plomb argentifère de Locmaria-Berrien. Ils appréciaient la vue mais, chauvins, temporisaient l’enthousiasme collectif de ceux qui les entouraient : « Ça ne vaut pas le lac de Priziac… », bougonnaient-ils devant les pleins et les déliés du menu. Doués d’un habile coup de fourchette et sensibles à la qualité et à la générosité d’un plat, ils goûtaient davantage au spectacle que leur offrait leur assiette. En hors-d’œuvre, des escargots farcis de beurre à l’ail. Puis un filet de truite aux amandes, servi avec des pommes de terre vapeur. Et, en dessert, une orange givrée. C’est en tout cas le souvenir qu’ils en avaient gardé. Il m’est arrivé de mettre leur parole en doute. Peut-être confondaient-ils avec le menu du Ty Blomen, sur la départementale 769, entre Lorient et Carhaix ? Agacés, ils balayaient le sujet : « Tout ce qu’on te dit, c’est qu’on y mangeait très bien et que ça devait être de ce goût-là. Et aussi, qu’il y avait beaucoup trop de doryphores autour de nous. » Dès lors, la messe était dite.

Longtemps donc, jusqu'à un passé récent, ma connaissance de Huelgoat s’est arrêtée aux portes de l’enfer et du paradis. Cette commune campée entre Carhaix et Sizun n’activait pas chez moi la machine à remonter le temps. Son parfum de madeleine ne chatouillait pas non plus mes narines. En revanche, chez d’autres, elle provoquait tout cela. Reconnaissons aux réseaux sociaux le pouvoir de mobiliser.

« Qu’évoque pour vous Huelgoat ? »

La question publiée sur Facebook a déclenché une flopée de commentaires. Tous racontent le goût de l’enfance. Le souvenir d’une randonnée dans la forêt, avec un parent désormais défunt ; les balades en pédalo ; le cornet de glace devant le spectacle d’un soleil couchant, assis sur un muret au-dessus du lac, dos au moulin du chaos ; les truites dans le panier de pêche ; une bataille de pistolets à eau dans la mare aux fées ; la cueillette des myrtilles dans les bois ; les parties de cache-cache du côté de la mine abandonnée ; le coup de rein d’un tonton pour faire vaciller les 137 tonnes de granit de la roche tremblante ; la traversée de la forêt à pied, pour rejoindre la grand-mère de Locmaria-Berrien, quand la neige stoppait net les voitures, etc. Des émotions de loin. Des souvenirs de peu. Les meilleurs.

Entre enfer et paradis

Mon amie Jacqueline Olivet, 58 ans, de 21 ans mon aînée, a décroché son téléphone pour me confier sa mémoire des lieux. Le souvenir est précis. Il est celui d’une gamine de Brennilis, fille de parents “cultivateurs ”, qui a grandi à proximité des panneaux directionnels de l’ancien chef-lieu de canton. Brennilis - Huelgoat, 9 km. De la petite ville nimbée de légendes, elle a gardé la saveur sucrée salée des crêpes savourées, à tout âge, dans l’emblématique crêperie Les Myrtilles, place Aristide-Briand. Avec ses 2500 habitants au milieu des années 1960, "C’était la ville".

Une cité de privilèges, administrée par des communistes, mais habitée par les notables « sapés comme des princes » : le « véto », le notaire, les gens de la perception, etc. Mais aussi les employés de la centrale nucléaire, logés par EDF dans l’ancien sanatorium, plus bas que le collège. « L’été, les gamins de Huelgoat partaient en colonie à l’île de Batz, avec l’amicale laïque. Ça nous faisait rêver ! », se rappelle-t-elle. Le chaos, le gouffre, la mare aux sangliers, la grotte du diable, la roche tremblante s’inscrivent, eux, au registre du cauchemar. « À Brennilis, on avait entendu dire que le père d’une famille de six enfants s’était jeté dans le gouffre. Ça arrivait assez souvent, paraît-il. Les touristes, ça les émerveille toutes ces histoires avec l’ankoù (N.D.L.R. : personnification de la mort en Basse Bretagne). Mais, nous, à l’époque, ça nous fichait la trouille ! » Loin des mastodontes de granit, de l’humus qui tapisse le sol et du bruit sourd du clapot des rivières, son béguin pour Huelgoat a l’odeur du chlore. La piscine municipale découverte, construite en 1969, lui fait alors de l’œil. « À l’école de Brennilis, on ne nous apprenait pas à nager. Alors, quand, avec les copines, on passait devant en car pour aller au collège, on regardait le bassin avec envie. Ça nous faisait rêver ! On trouvait ça très moderne ! »

Une mémoire incollable

Juillet 2019, plongée de trois jours dans Huelgoat, 1 500 habitants et des brouettes, pendant le (long) week-end des Vieilles Charrues. Les camping-cars sont alignés en rang d’oignon sur l’aire qui leur est dédiée. À l’ombre des hêtres, un couple fait la sieste ; un autre joue aux cartes. Les gamins s’inventent un monde. Derrière, le camping municipal affiche presque complet. Un couple d’artistes belges, rejoints par un ami français du Nord, sonneur de cornemuse allemande, se dégourdit les jambes. Avec leur groupe Prima Nocta, ces trois-là sont attendus dimanche au festival médiéval de Saint-Renan, du côté de Brest. Huelgoat, ils ne connaissent pas. La roche tremblante non plus. « On a regardé sur la carte et on s’est dit que ce serait pas mal de s’arrêter là, au milieu de la Bretagne », explique Delphine. « On cherchait la fraîcheur et on l’a trouvée ! », ajoute Edwin, son compagnon, éprouvé par une traversée de l’Hexagone.

Patrick Le Scraigne, propriétaire de l’hôtel de Bretagne, place Aristide- Briand, se frotte les mains. À cette époque, pour une fois depuis longtemps, son établissement n’affiche pas complet. Il n’est pas surpris : « Cette année, le festival de Carhaix n’a pas vraiment de tête d’affiche. Quand Bruce Springsteen est passé en 2009, le bourg était désert ! Cette année, on peut satisfaire les clients à qui, d’ordinaire, on annonçait complet. »

En 2008, lui et sa femme Adriana, d’origine colombienne, ont racheté l’ancienne auberge à des Anglais qui l’avaient reconvertie en dépôt-vente de meubles. Des mois de travaux, de fond en comble, ont révélé l’impressionnante charpente, construite en 1801, éligible, selon le propriétaire, un ancien commandant de la marine marchande, à la qualification d’« œuvre d’art ». Seul le bar, attenant à l’hôtel, est resté dans son “ jus ”. Un carrelage à petits carreaux et un comptoir comme on les aime pour disserter autour de la pluie, du beau temps et tailler des vestes aux mal aimables qui, parfois, passent la porte pour demander le chemin de l’École des filles sans, au préalable, saluer la clientèle. C’est là qu’Adriana officie avec son bel accent du sud.

Dans le rade, toujours les mêmes têtes amicales. Parmi elles, Michel Penven, un habitué du café du matin. Pour tomber nez à nez avec ce passionné d’histoire locale, collectionneur de cartes postales et de « vieux papiers », il faut viser juste. Dix heures trente réglées sur l’horloge du troquet. L’homme du temps passé n’aime pas les imprécisions. Ni les raccourcis. « Ici, c’est le contraire du tourisme de zapping. Il y a plein de choses à voir. Mais personne ne prend le temps. Un tour en forêt et puis c’est tout. Même les gens du cru ne connaissent pas leur histoire. Tiens, demandez-leur de vous causer du canal (N.D.L.R. : le canal inférieur de la mine). Certains ne savent même pas de quoi on parle  ! » Le nom Penven  sonne local aux oreilles des Huelgoatains. Michel, l’apprendra-t-on plus tard, est le neveu d’Alphonse Penven (1913-1994). « C’était une personnalité politique : résistant, député, maire, conseiller général. Un communiste de la première heure ! », nous apprend un client. 

Les anglais dans la place

Depuis quelques années, sous l’égide de l’association Sur les traces de François Joncour, du nom d’un horloger de Brasparts de la fin du XIXe siècle féru de photographie, l’historien local qui, modeste, réfute cette étiquette, produit un besogneux et rigoureux travail pour conserver la mémoire de son territoire. Tous les ans, avec une poignée de bénévoles, il organise des expositions (Les pardons des monts d’Arrée, d’hier à aujourd’hui sera visible le 10 novembre, à Plouyé) et publie des monographies sur les communes du terriroire ou des dossiers à thème : le lac, les mines, les kaolins de Berrien… Il fouille, exhume, interroge les archives qui tapissent les murs et les sols de sa maison, publie des appels dans la presse locale. Un travail de bénédictin consacré dans de petits tirages vendus dans les commerces locaux et salué par la population. Devant l’objectif de l’appareil destiné à lui  tirer le portrait, ce passionné de photo se presse de nous confier cette anecdote sur l’hôtel d’Angleterre, là où séjournait Victor Ségalen, le médecin-poète-sinologue-écrivain brestois auteur des Immémoriaux, décédé de mort suspecte près du chaos en 1919 : « L’établissement avait un terrain de tennis. L’un des premiers en Finistère ! Des excursions étaient organisées pour découvrir les chapelles Saint-Michel et Saint-Herbot. De retour, l’hôtel mettait une chambre noire à disposition des touristes, pour développer leurs photos ! C’était le luxe absolu ! » L’hôtel d’Angleterre n’est plus, mais les Anglais sont là. Nombreux. Touristes de passage ou néo-résidents, leurs bonnes manières ont infusé dans Huelgoat. Les adresses de charmants bed & breakfast, en campagne et dans le bourg, s’affichent dans la liste des hébergements de l’office de tourisme. Un pub aussi, mitoyen de la quincaillerie, bien connue des pêcheurs. Et puis, c’est récent, du côté du lac, une boutique de meubles vintage rénovés à la sauce cottage. Johann n’est pas anglais, mais il a la langue de Shakespeare en bouche et la réputation de vendre de « merveilleuses pâtisseries maison ». Voici un peu plus d’un an, cet ancien professeur d’anglais, débarqué il y a 15 ans à Huelgoat, a ouvert les portes de son café-librairie, dans l’ancienne mercerie. Il l’a baptisé Sur la route. Un clin d’œil au roman de Jack Kerouac, figure de proue de la Beat generation, dont les ancêtres étaient originaires de Huelgoat. Mais peut-être aussi, parce qu’on lui devine un humour anglais, un pied de nez à la bien nommée rue des Cieux, la sienne, sur la route du cimetière. Sa clientèle, des habitués et des touristes, est anglaise pour moitié. Mais aussi française. Des gens du sud venus chercher en centre Bretagne la fraîcheur du végétal et du minéral. Une tendance nouvelle observée à l’office de tourisme et dans les agences immobilières locales. Le maître des lieux est aux petits soins pour ses hôtes d’outre Manche. De la littérature anglaise à tous les étages et des fleurs des champs sur les tables. Il le leur doit bien : « J’aime la nature. Mais les Anglais m’ont fait découvrir Huelgoat.

Brenda et Neil Watson, retraités, ont leurs habitudes au café de Yohann. Même en cycliste et en maillot, ils aiment y déguster un cappuccino et se damneraient pour obtenir la dernière part de cheese cake présentée sous une cloche de verre, sur le comptoir d’épicier. Ils ne mâchent pas leurs mots : le gâteau serait « absolument brilliant » (en anglais dans le texte). « On ne vient pas ici parce qu’il y a des Anglais, mais parce que le café et le cheesecake sont délicieux », affirment ces deux cyclistes amateurs chevronnés de 67 et 68 ans, tombés en amour pour Huelgoat lors du passage du Tour de France, en 2018. Depuis quelques années déjà, ils envisageaient d’investir dans une maison secondaire. Destination l’Espagne ou Huelgoat. Brenda, une ancienne avocate en droit immobilier, a eu gain de cause. Elle se réjouit de pouvoir régulièrement rendre visite à « [son] héros », à proximité : la statue de Bernard Hinault, le Breton cinq fois vainqueur du Tour de France, règne en maître dans le centre-ville de Carhaix depuis 2018.

Le “ blaireau ” (surnom de Bernard Hinault) n’a encore jamais passé le portail de l’École des filles, au-dessus du chaos et du théâtre de verdure. Un jour, peut-être, il rejoindra la prestigieuse liste des « personnalités lumineuses » invitées par Françoise Livinec, la maîtresse des lieux, pour partager avec le public, nombreux, son goût de l’effort. On rencontre cette galeriste parisienne, née Carhaisienne, en 2012. Trois ans plus tôt, elle a racheté l’école centenaire communale des filles, imposante bâtisse typique de l’époque Jules Ferry, avec le projet fou d’en faire, l’été, un espace d’art moderne et contemporain et de réflexions polyphoniques nourries par la présence d’intellectuels davantage coutumiers des salons parisiens et des plateaux de télévision.

Les mystères de la forêt

La dame a le bras long et du nez : elle a vite compris que, pour durer, il ne fallait pas se laisser porter par « l’air du temps », ni chercher à plaire. Elle programme à rebours de l’actualité et, sous le préau, interroge celles et ceux qui, de leur vie singulière, ont fait une œuvre universelle. Cette année,l’historienne Mona Ozouf, fidèle de L’été des 13 dimanches, a attiré 600 personnes dans la cour de l’école.

Huelgoat profite de sa centralité géographique. C’est le jardin de toute la Bretagne. Le public fait de plus en plus de kilomètres pour entendre une pensée diverse. Jamais unique », rappelle Françoise Livinec. La fréquentation profite aussi aux commerces de la commune. En témoigne le livre d’or de l’hôtel de Bretagne, signé de la plume d’écrivains et du pinceau de peintres, à la manière de la pension Gloanec, à Pont-Aven, au début du XXe siècle. Ici, en 1891, le peintre Paul Sérusier a d’ailleurs peint la nature primitive.

Pascal Gautier connaît la palette des couleurs de la forêt de Huelgoat comme sa poche. Le chef de triage forestier, c’est son métier, l’arpente depuis 2011. Mieux, il l’habite. « Je suis logé en maison forestière, en lisière de forêt. Vivre au plus près permet de gérer au plus près. Souvent à pied. Si je suis sollicité, je sais de quoi je parle. Je suis concrètement impliqué dans ce territoire », explique l’homme qui a la maîtrise du terrain, mais pas son expertise.

Après la visite du camp d’Artus, ancienne ville fortifiée de l’époque romaine, il nous entraîne ailleurs, là où touristes et randonneurs n’ont pas l’habitude d’aller. Après quelques mètres de pentes abruptes, il dévoile une ligne d’eau coincée entre un mur de granit et une berge boisée : le canal inférieur de la mine. Vieux de 250 ans et long de 6,4 kilomètres, il relie le lac de Huelgoat et la partie haute du versant minier. « Peu de gens le savent mais, neuf mois dans l’année, le canal produit encore 10 000 volts en continu. » S’il était encore vivant, mon grand-père aurait conseillé : « Faut pas tout leur dire, sinon, les doryphores vont vraiment être trop nombreux à Huelgoat… »

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