Morlaix. La carotte et le bâton...

Morlaix. La carotte et le bâton...

Fondée en 1811, la manufacture des tabacs de Morlaix a vu ses effectifs passer de 1.050 à 1.691 en moins de soixante-dix ans, période durant laquelle la carotte a été sa principale production. C'est aussi le temps où les ouvriers ont travaillé sous un véritable joug.

Publié le 19/03/2007
Modifié le 13/07/2018
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Morlaix. La carotte et le bâton...

Certes, les Bretons n'ont pas attendu l'empereur Napoléon 1er pour chiquer, fumer ou priser l'herbe à Nicot. Dès 1736, la ville de Morlaix s'enorgueillissait d'un atelier, sur le quai de Léon, où étaient fabriquées plusieurs sortes de tabac que le célèbre chimiste Lavoisier apprécia d'ailleurs particulièrement lors d'une visite. Mais si le produit était satisfaisant, sans doute le statut protectionniste dont Jean-Baptiste Colbert avait, en son temps, doté ce type d'établissements, présentait-il certains désavantages. Toujours est-il que, sitôt abolis les privilèges féodaux en 1789, le nouveau pouvoir s'empressa de supprimer le monopole dévolu aux entreprises de transformation des feuilles de nicotine. Par suite, tout un chacun put s'établir dans cette profession qui nourrissait particulièrement bien son homme et qui, au surplus, comblait d'aise sa clientèle. De sorte que le nombre d'ateliers se multiplia considérablement en Bretagne ; la ville de Morlaix en possédait onze à elle seule. Tout allait donc bien apparemment. Surtout pour l'Etat, bénéficiaire des dividendes fiscaux dégagés par la vente de ces produits aux bienfaisantes vertus. Quelle mouche piqua donc Napoléon 1er lorsque, à son tour, il se mit en tête, en 1811, de réformer le système ?

Rennes ou Morlaix

Sans doute trouva-t-il insuffisante la manne ainsi prélevée par le fisc sur le dos des carotteurs et autres amateurs de poudre à priser. Le fait est, en tout cas, que le jeune père du roi de Rome institua une Régie chargée de percevoir les taxes afférentes à cette fabrication. Le monopole était donc de retour sous le vocable et la tutelle, cette fois, de l'Empire. Restait, cependant, un problème délicat à régler : celui du lieu d'implantation de la nouvelle structure en Bretagne. En vertu de la réglementation, une seule ville pouvait en disposer dans la province; or, elles étaient deux à en revendiquer la possession. D'un côté, Rennes arguait de sa grandeur passée et de son titre de capitale bretonne; de l'autre, Morlaix faisait valoir son expérience et son savoir-faire dans le métier. Face à un tel dilemme, où prévalaient principalement des intérêts économiques, finalement le choix de l'autorité compétente se porta sur cette dernière en raison de ses traditions ouvrières dans ce secteur d'activité et l'existence de bâtiments appropriés. Des avantages auxquels s'ajoutait celui de la proximité d'un port de commerce. Comme il fallait s'y attendre, la désignation de Morlaix fut mal accueillie par sa concurrente, humiliée de voir sa suprématie régionale ainsi bafouée.

L'obéissance avant tout

Mais l'inspecteur général de la Régie n'a que faire de telles récriminations. Le 2 mai 1811, il convoque pour la première fois le conseil de la manufacture impériale dans le bureau du directeur de celle-ci, Jean Brulard, naguère propriétaire de l'un des ateliers désaffectés, afin de préciser les fonctions dévolues à chacun de ses membres. Il n'y va pas, au demeurant, par quatre chemins dans son discours d'ouverture. « L'obéissance, souligne-t-il avec fermeté, est le premier de vos devoirs. Vous ferez sentir le joug des règlements aux ouvriers qui tenteraient de passer outre ». Autrement dit, chacun n'a qu'à bien se tenir, les consignes sont parfaitement claires. L'inspecteur en vient ensuite aux choses concrètes. Dix-huit personnes vont être embauchées dans un premier temps pour restaurer l'ancienne « Manu » du Quai de Léon, mise à mal sous la Révolution. Certes, les machines existent encore mais elles n'ont pas fonctionné depuis vingt ans. De plus, l'humidité ronge les feuilles de tabac non utilisées. Rien d'irréparable, malgré tout. Il suffit d'avoir la volonté de s'atteler à la tâche

Une révolte malouine

En ce qui le concerne, le régisseur Brulard ne chôme pas, mais l'autorité supérieure, elle, traîne à l'évidence les pieds. Vaille que vaille, pourtant, le projet d'ouverture aavance. Dans cette perspective, le patron morlaisien sollicite à qui de droit une faveur pour le personnel ouvrier. Dans ce corps de métier la tradition veut, en effet, de fêter la Saint-Louis et de ne pas travailler ce jour-là. Brulard exprime le souhait qu'elle soit respectée. Il en profite, d'autre part, pour demander que soit érigé dans la salle du conseil un buste de « Sa Majesté l'Empereur ». Affaire à suivre. Reste donc à recruter le personnel. Pas de problèmes de ce côté-là dans l'immédiat. Six mois après le début de la fabrication, la « Manu » compte déjà plus d'un millier d'ouvriers, venant des anciennes fabriques locales bien sûr, mais aussi d'un peu partout en Bretagne. Encore que l'embauche suscite parfois des frictions dues aux salaires et conditions de travail. Ainsi une vingtaine de postulants de Saint-Malo, furieux de l'imprécision des réponses apportées à leurs questions, s'empressent-ils d'écrire à leur maire et au préfet d'Ille-et-Vilaine pour exposer leurs doléances face à un tel mépris patronal.

Une humiliation : la fouille au corps

Le fait est que la discipline s'applique ici avec une extrême rigueur. Les cas de désobéissance ou d'insubordination sont châtiés sans la moindre compassion. E défaut de syndicats, encore inexistants, les catégories ouvrières les plus défavorisées n'hésitent pas, malgré tout, à se manifester. Exemple : à peine les machines viennent-elles de reprendre du service que les fileurs pétitionnent pour obtenir une augmentation de salaire. Il est vrai que la charge de travail imposée à chacun est sans commune mesure avec les rémunérations. Un fardeau auquel s'ajoutent les épreuves humiliantes subies par ailleurs, telles que la fouille au corps à laquelle chacun doit se soumettre à la sortie de l'atelier. Les employés de bureau ne sont pas mieux traités. Si un trou apparaît dans les comptes il revient au caissier de le combler avec ses propres deniers. De même, le chef de fabrication est tenu personnellement et financièrement responsable de l'éventuelle détérioration d'un produit. Bref, si ce n'est la galère, cela y ressemble. D'autant que, dès sa première année d'existence, la « Manu » de Morlaix se doit d'approvisionner en totalité les cinq départements bretons.

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